Mourir n’est rien quand vivre fut tout

Le ronron du quotidien m’exaspère, me rend folle. Folle de rage. J’ai envie de hurler, de pleurer, de courir, de m’enfuir, de sauter dans le vide, d’exploser en plein vol ou de m’enfoncer dans les entrailles de la Terre. J’ai envie d’entendre mon cœur tambouriner, se serrer dans un spasme violent, sentir tout mon corps vivre, vivre vraiment, pas à demi, pas mollement. Je veux bien même avoir mal s’il le faut. La douleur qui enflamme l’âme plutôt que la tiédeur pâle et insipide d’une vie sans relief. Je veux bien plonger tout au fond, me laisser couler jusqu’à m’y perdre, et dans les tréfonds de la mélancolie trouver la délivrance. Je veux bien mourir dans un an, dans un mois, une semaine ou un jour, mais pas sans avoir vécu, pas sans avoir senti et ressenti dans la chair et par tous les pores de la peau le déchaînement des sens, la frénésie de la vie qui déferle dans les veines tel un fleuve qui sort de son lit et emporte tout sur son passage, déracine les arbres, décroche les toits des maisons et couche chaque barrière, chaque pylône, chaque obstacle se dressant sur sa route. Je veux mourir d’avoir trop vécu, mourir d’avoir trop aimé, trop admiré, trop éprouvé toutes les secondes comme si chacune était unique, mourir jeune et en bonne santé, mourir foudroyée par la beauté !

Mourir vivante.


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Ce jour ou un autre

Je ne suis pas femme à chiffres.
Ces inconnus de passage
Dans les registres et les cahiers
Dans les courriers et les contrats
Partout sur mes papiers
Ils sont de parfaits étrangers.
Je les vois sans les regarder,
Leur langage n’est qu’une bouillie
À mon palais
De de fin gourmet.

Je ne suis pas femme à chiffres.
Je ne compte ni les jours ni les semaines,
Je laisse les mois comme les années
Dévaler les pentes de l’éternité.

Mes artères et mes viscères ont 40 ans aujourd’hui.
Vous êtes sûr Docteur ?
Et mon âme ? Et mon cœur ?
Je les sens si pleins de la même fraîcheur
Qui emplissait hier le printemps de mes 20 ans.
Oui, bien sûr… Bien sûr je vous crois,
Une carte d’identité ça ne ment pas
Et puis ma mère est encore là
Pour me dire quel bébé rose et joufflu
Elle tenait dans ses bras
En ce jour d’avril 1976
Dans cette maternité aux vitres étouffantes.

Mais je ne suis pas femme à chiffres
Décidément non !
Je ne comprends rien à ces signes
Qui s’alignent.

40 ans aujourd’hui,
Vraiment ça n’a pas de sens
Pas de signification
Si ce n’est pour le monde autour de moi
Qui voit dans ces chiffres
Un cap, un seuil, un moment critique
Un stade ultime
Où l’être bascule vers d’autres abîmes.
Je n’objecte pas, je ne renie rien,
Je ne comprends tout simplement pas.

Je ne suis pas femme à chiffres.
Femme à mots, femme à livres,
Femme à rire, femme à vivre,
Femme à colère, femme à folies,
Femme à rêves, femme à désir,
Femme à cris, femme à dire.
Non, décidément je ne comprends pas
Ces chiffres affichés
Qui devraient me raconter
Dresser un portrait
Validé, certifié, homologué par des usages
Qui entérinent mon âge.

Mais comment vous dire alors
Que c’est le même pouls
Qui tambourine sous la peau ?
Le même bouillon
Qui crapahute dans les veines.
Comment vous dire encore
Que c’est le même éblouissement qui cogne
Face à une mer d’étoiles dans un ciel de juillet ?
La même lave qui bat
Sous les paupières
Que le ballet des oiseaux est toujours le premier,
Que le soleil de mai est chaque fois nouveau.
Comment vous dire aussi
Que les révoltes sont intactes ?
Les exaspérations toujours vivaces
Et les envies de chambardement évidemment tenaces.

Je ne suis pas femme à chiffres
Décidément !
Mais fêtons ensemble mes 40 ans
Puisque tel est votre plaisir.
Et que le vin coule à flots,
Et que les fruits gros et juteux éclaboussent nos jeux,
Et que l’insolence soit notre maître-mot,
Et que la passion soit notre seul flambeau
Comme au jour de nos dix, de nos vingt, de nos trente ans
Comme à chaque jour nouveau
Sur la vie ensommeillée de rêves
Qui se lève.

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Je me souviens que l’amour est passé

Je me souviens que l’amour est passé, qu’il a vécu un temps auprès de moi. Ses yeux me frôlaient avec une infinie tendresse. Ses bras m’enveloppaient et ils étaient l’abri le plus sûr. Je m’ouvrais à lui avec la candeur de mes vingt ans, et je croyais à l’éternité. Il était cette éternité. Je l’attendais chaque soir, telle Pénélope soupirant le retour d’Ulysse. Je passais mes journées à me languir de la chaleur de son corps. Je guettais ses pas dans l’escalier. Je retenais mon souffle dès que j’entendais la clé tourner dans la serrure. Je me précipitais pour me pendre à son cou dès qu’il apparaissait. Il était la lumière, le sauveur, le gardien de mes jours, de mes nuits, de ma vie tout entière. Il était le père, l’amant, l’ami, le frère. Il était la potion, le remède contre les blessures du passé.  Je respirais au rythme des battements de son cœur. Dans le silence je me berçais de la cadence de son souffle. Mon existence était arrimée à la sienne. A ses côtés tout n’était qu’évidence. Je n’avais plus besoin de rien puisqu’il était là, puisqu’il veillait sur moi, puisqu’il m’aimait.

Je ne voyais que par lui. Je ne vivais que pour être auprès de lui. Ma vie avait désormais un sens parce qu’il y avait posé ses pas. Pour lui j’oubliais tout. La seule chose qui importait était d’être là où il était. Et je n’avais de cesse de réclamer ses bras autour de moi, de me presser contre son corps, d’en aspirer toute la chaleur. Tout le jour j’attendais le soir pour retrouver cette proximité ultime que seule l’intimité de la nuit offre aux amants. Je n’imaginais pas m’endormir d’une autre manière que ma peau collée contre sa peau, que mon corps épousant son corps, que mes mains accrochées à son bras, à sa taille. Après l’amour, que de fois il m’a recueillie, m’accordant un instant de plus, me laissant m’endormir la tête enfouie dans son épaule, mon ventre scellé à sa hanche, ma main posée sur son sexe. Nos chaleurs ainsi mêlées nous laissaient le corps ruisselant. Il tentait parfois de s’échapper me croyant enfin partie dans un sommeil lointain, s’éloignant de ma peau en quête de quelque fraîcheur. Mais je ne lui concédais aucun répit, et s’il lui prenait l’idée de s’écarter de moi, de me tourner le dos pour reprendre son souffle, mes seins se pressaient contre lui, mes mains réclamaient de nouveau, mes reins repartaient à l’assaut. J’étais avide de la moindre parcelle de sa peau. Je l’aimais à en crever.

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L’aquarelliste

Sa main vole glisse sur le papier
Telle une plume dans le vent.
A bout de pinceau avec la précision d'un archet
Il caresse la toile de ses gestes élégants.
De ses doigts enroulés tentacules serrés
Il balade l'instrument sur les courbes du temps.
Dans une danse rapide et toujours maîtrisée
Il invente des visions des ailleurs éclatants.
Le regard plein de ses rêves colorés
Il n'a d'yeux que pour elle. Ah ! Maudite aquarelle ! 
J'ai beau me presser lascive à son côté
Je suis bien peu de chose la rivale est trop belle.
De nuits lourdes d'insomnie en matins endormis 
Le ballet de ses mains lui concède mille caresses. 
Et jusque dans mes rêves où là aussi il m'oublie
Je croise le fer avec son insolente maîtresse.

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Passion

Amour
Le temps passe.
Amour
Le temps lasse. 

T'en souviens-tu du jour nouveau 
Qui se levait chaque matin
Sur tes yeux d'enfant capricieux 
Qui découvre l'amour
Qui jure d'aimer toujours ? 

Amour
Le temps passe.
Amour
Le temps lasse.

T'en souviens-tu des nuits d'ivresse ?
Chaque caresse était promesse
Chaque baiser ressemblait à l'éternité.
La peau gardait le souvenir
De chacun de nos soupirs.

Amour
Le temps passe.
Amour
Le temps lasse.

T'en souviens-tu des mots soufflés
Criés ou susurrés ? 
Des mots comme des bateaux
Voyageant de ton cœur 
A mes larmes, 
De tes mains
A mes seins
Mes mots baisant les tiens. 

Amour
Le temps passe. 
Amour 
Le temps lasse. 

T'en souviens-tu de la brûlure ? 
De la passion qui dévaste la terre
Qu'elle conquiert
Qui affame la bouche
Qui l'accouche
Qui enferme la liberté
Par trop aimer. 

Amour
Le temps passe.
Amour 
Le temps lasse. 

T'en souviens-tu ?
Mon bel amour
De cet amour
Qu'on a perdu.

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La valse, Camille Claudel

Le coeur avait raison

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point
Mais la raison n'a pas de cœur, mon Cœur. 
Le cœur a ses tempêtes que le soir rend à la vie
Et la vie a ses histoires que le cœur oublie. 

Je les déteste tant tous ces endroits qu'avant
Qu'avant toi j'ai tant et tant chéris.
Je les regarde pourtant 
Ces parcs ces jardins
Ces massifs et ces bassins
Qu'au frais printemps j'ai aimés comme toi
Comme avant
Avant que tu ne repeignes tout en noir et blanc. 

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point
Mais la raison n'a pas de cœur, mon Cœur. 
Le cœur a ses passions que le matin rend au chagrin
Et le chagrin a ses larmes qui ne sèchent pas. 

Je les ai tant haïes toutes ces mélodies
Ces mélodies qu'avant
Qu'avant toi j'aimais tant et tant. 
Je les écoute pourtant
Dans les parcs dans les jardins
Près des massifs et des bassins
Là où je verse l'eau de mon amour défunt,
Là où pourrissent nos frêles et jeunes matins. 

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point
Mais la raison n'a pas de cœur, mon Cœur. 
Le cœur a ses silences qui dorment avec les anges
Et les anges ont des douceurs qui guérissent les cœurs.

Je les ai tant et tant aimées
Ces heures
Ces heures où nos corps faisaient la paix 
Dans les jardins où jadis tu m'aimais
Près des massifs et des bassins
Où nos mains entrelacées 
Donnaient la réplique à nos cœurs pleins.

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point 
Mais la raison a eu raison de ton cœur et du mien.

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Danaé, Gustav Klimt