Les parfums du passé

Juste quelques pensées
Sur mon cœur,
     Effleuraient.
Le parfum du muguet
Comme un effluve sucré
Sur ma peau,
     Passait.

Je n’ai rien oublié !

Juste le pouls de l’été
Dans ma chambre, 
     Battait.
L’odeur de la rose coupée
Comme une trace pourprée
Sur ma peau, 
     Restait.

Je n’ai rien oublié !

Juste l’odeur des blés
Dans l’atmosphère, 
     Flottait.
L’arôme de la terre mouillée
Comme une empreinte
Dans mon cœur, 
     Gravait.

Je n’ai rien oublié !

Juste mon enfance réveillée
Par les fragrances du passé.
De la terre fertile des près
À la fraîcheur des marais,
C’est la mémoire qui m’est contée.

Les parfums du passé !

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Je me souviens (2)

À mesure que le champagne me brûlait en coulant dans la gorge, les souvenirs s’emmêlaient dans ce désordre qui les rend plus éloquents.

L’appartement était petit, mais si joli. Toujours rangé. Un appartement de fille presque aussi rangée. Rien jamais qui dépassait. Souvent, il sentait bon le jasmin ou le bois de cèdre. Dans la bibliothèque, les livres étaient classés par genre. Les poètes et les dramaturges se partageaient les premières étagères. Puis les philosophes occupaient le rang en dessous. L’histoire, l’économie, la politique, l’écologie, la sociologie se mélangeaient dans une joyeuse harmonie un peu plus bas. Tandis que pêle-mêle, les romans en tout genre, les bons comme les mauvais, s’empilaient sur les derniers rayonnages. Il y en avait toujours deux ou trois, quatre ou cinq qui restaient là, posés sur la table du salon, près du lit sur le plancher. Je les caressais du regard à chaque passage. C’était le temps où tous les samedis, je m’offrais ma bouffée d’oxygène dans les allées de la librairie Saint-Louis. Je n’en ressortais jamais les mains vides.

Il y avait eu ces vacances à Majorque. Quel été ! Les bleus de la mer et du ciel, comme une aquarelle, s’harmonisaient au gré des jeux de lumière. Les nuits et les jours s’inversaient. Les siestes sous le soleil. Les extases sous les pins parasol. Le goût sucré des melons. La chaleur écrasante. Tes bras ma prison. Ton corps pour seul horizon. Je crois que c’est là que j’ai compris le sens de cette expression qui m’avait toujours été étrangère jusqu’alors : je l’ai dans la peau. Ta peau était ma peau. Je ne pouvais m’en éloigner sans éprouver une suffocation. Je la réclamais à toute heure du jour et de la nuit. Tu me la prêtais volontiers, me laissant voyager sur elle au gré de mes désirs. Tu y prenais du plaisir. Me voir ainsi, enchaînée à toi, prisonnière, incapable de me soustraire à nos étreintes. Ton ego s’en délectait tandis que le mien se délayait.

Et puis la vie reprend son triste cours. Toujours ! La monotonie revient avec son lot d’incompréhension et de disputes, avec ses jours sombres et tes envies qui prenaient le large. Tes retours de plus en plus tardifs, tes déjeuners de plus en plus fréquents. Tes baisers distraits et tes caresses froides. C’est ainsi que meurent les amours clinquantes qu’on n’a pas pris le temps de construire. Ces amours trop fougueuses pour être honnêtes. Ces amours qui vous font les nuits dantesques, mais les séparations insipides.

Pourtant, pendant longtemps, mon corps a manqué de ton corps. J’en éprouvais une douleur viscérale. Le jour, je te voyais dans toutes les silhouettes hautes et fines que je croisais. Parfois, c’était un parfum aux notes fraîches et acidulées qui réveillait ma mémoire au coin d’une place, au détour d’un arrêt de bus, dans les allées d’une boutique. Il m’arrivait de suivre l’effluve pendant quelques minutes avant de réaliser l’absurdité de ce que j’étais en train de faire. La nuit, je me réveillais ruisselante de sueur, avec la sensation d’avoir avalé des lames de rasoir qui me cisaillaient les entrailles. Quand ce n’était pas mon ventre qui criait, c’était ma tête qui hurlait. Les souvenirs envahissaient tout mon univers. Mes mains, mes lèvres, ma peau, tout en moi était en manque de toi. Je tremblais comme une junkie qui n’a pas eu sa dose. Alors les sanglots m’enserraient la poitrine, violents, incontrôlables, inconsolables. Je finissais à bout, épuisée d’avoir tant pleuré, l’oreiller trempé, et je m’endormais vidée. Les semaines et les mois ont passé, et puis un jour les sanglots se sont arrêtés.

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L’arbre aux histoires

Il y a des arbres qui racontent des histoires. Près de chez moi, il y en a un. Planté dans un jardin. Très précisément dans le jardin de la maison où j’ai passé mon enfance et mon adolescence. Cet arbre, c’est un sapin et chaque fois que je passe sur le chemin où j’ai traîné mes pneus de vélo à l’âge où l’avenir est ouvert à tous les possibles, à chaque fois, je lève les yeux vers lui et une larme prend naissance au bord de mes cils.

Ce sapin a accueilli les paquets colorés jusqu’au soir de noël. Je ne saurais vous dire de quelle année il s’agissait, mais c’était il y a longtemps. Cette année-là, j’avais insisté auprès de mes parents pour prendre un sapin avec ses racines, et au lendemain des fêtes, j’ai choisi son emplacement dans le jardin, là au centre, en face de la maison, bien au centre. Il était alors aussi petit que moi ou peut-être me dépassait-il d’une tête, d’une branche.

Et puis les années ont passé. Les hivers et les étés. Un jour, j’ai eu 17 ans et j’ai changé de maison. Le sapin lui est resté. Aujourd’hui, il est immense. Il est bien plus haut que la maison qu’il toise de ses branches d’un vert sombre. Du chemin, on l’aperçoit de loin derrière les haies et les ronces. Ce sapin, il raconte mon histoire, celle de mon enfance, celle de mon adolescence. Il raconte mes soirées d’été dans l’herbe, la musique dans les oreilles, mon premier magnétophone, mes rêveries solitaires sur le chemin, dans les champs de blé qui entouraient la maison, dans le cimetière où je traînais mon goût déjà affirmé pour la solitude. Il raconte mes premiers espoirs, mes premiers chagrins, mes premiers carnets griffonnés. Il raconte mes après-midi dans la grange, tout en haut juchée sur les bottes de paille empilées, cachée pour mieux rêver.

Ce n’est pas aux choses qu’on est attaché, c’est aux liens qu’on entretient avec ces choses, qu’elles soient inanimées ou vivantes. Parce que ces liens sont comme les mailles d’un tricot, une maille qui se défait et c’est le tricot tout entier qui finit par se découdre. La vie ne tient qu’à ces fils qui tissent notre histoire.

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Je me souviens

Je me souviens. Printemps 2008. Samedi matin. Je suis en terrasse. Je sirote un café. Le soleil est haut, éblouissant. Je suis seule et je suis bien. Je viens d’acheter, au bureau de tabac juste à côté, un journal qui titre « Panique bancaire, croissance en berne. Quand la crise menace… ».

C’est à peine si je me souviens de ce que je faisais l’an dernier à la même date, mais ce samedi du printemps 2008, je ne l’ai jamais oublié. Il faisait beau et chaud. Il était tout juste dix heures du matin. Le marché Saint-Pierre battait son plein. Les ménagères se bousculaient passant des étals de poissons aux vitrines des fromagers. Les pas dans la rue étaient rapides comme une colonie de fourmis. Je les voyais tous s’activer, sortant de chez le boulanger pour entrer chez le boucher. Les gamins rechignaient à donner la main à des parents pressés. Le pavé grouillait de cette civilisation post-industrielle qui achète ses bouquins sur internet et va chercher de l’authentique dans les allées des marchés le samedi matin, entre un petit jaune au bistrot et un burger à la sandwicherie du coin. Et j’étais là, au milieu de la fourmilière. Et j’étais des leurs.

Je me souviens encore des inconnus qui m’entouraient alors sur cette terrasse de café. Une femme brune avec une petite fille de cinq ou six ans tout aussi brune. La femme avait demandé un café pour elle et un diabolo fraise pour l’enfant. Un homme, d’un âge déjà avancé, du moins relativement comparé au mien. Soixante ans.  Soixante-cinq peut-être. Le sosie de Robert Redfort au même âge, le même regard bleu, la même peau burinée, la même blondeur. Une allure athlétique. Sous sa chemise entrouverte, je percevais le mouvement de ses muscles à chaque respiration. Plongé dans son quotidien, il ne me voyait pas tandis que je l’observais avec minutie. Du bout de ses longs doigts qui agrippaient les pages de son journal, jusqu’à la chair que je pouvais deviner à travers le coton léger de son vêtement. J’étais hypnotisée… Et puis rapidement, je vis une belle et grande quinquagénaire le rejoindre, s’asseoir à ses côtés et l’embrasser tendrement. Alors je repris la lecture de mon magazine. Nous étions à moins de six mois de la chute de Lehman Brothers.

Vers dix-heures trente, mon petit noir avalé, la panique bancaire oubliée, je laissai un euro dix dans la coupelle et je rejoignis la fourmilière. Moi aussi, je passai par la boulangerie, puis la boucherie. Je m’arrêtai dans le petit salon de thé qui faisait l’angle de ma rue. J’y achetai ce mélange de thé noir à la bergamote que j’aimais boire les dimanches après-midi, sur ma terrasse quand le soleil était au Zénith, ou bien lovée dans le canapé par les journées froides et pluvieuses. Et puis je rentrai.

C’était comme une routine qui ne disait pas son nom, un quotidien réglé semblable à tant d’autres. Rien ne me distinguait de mes congénères. Du lundi au vendredi, l’essentiel de mon temps était pris par une activité professionnelle qui m’offrait tout à la fois un salaire, une utilité sociale autant qu’un statut, des relations humaines et, cerise sur le gâteau, la satisfaction de travailler une matière qui attisait mon intérêt, stimulait ma curiosité. Je ne réalisais alors absolument rien de ce qu’était ma vie. Tout m’était extraordinairement ordinaire. Je travaillais. Je payais mon loyer et mes impôts. J’avais même contracté un prêt pour m’acheter une voiture. J’étais au comble de la conformité, en phase avec mon époque, avec ce qu’elle attendait de ses sujets.

Je regardais les infos du soir, et même si je me révoltais souvent devant l’injustice qu’on me servait sous cellophane entre le plat et le dessert, j’étais une enfant sage qui s’en retournait bien vite à son quotidien une fois le poste de télé éteint. Je n’étais pas résignée, non. Pour être résignée encore eut-il fallu qu’un jour seulement j’eusse été réellement, concrètement, cruellement atteinte dans mon être, dans ma chair, dans mon intégrité.  Or jusqu’ici la vie, même si elle m’avait donné quelques coups, s’était montrée plutôt douce et généreuse à mon endroit.

Je coulais des jours paisibles. Pas forcément heureux, mais paisibles. C’était le calme des jours éteints, l’indifférence tranquille qui habille les mois et les semaines. C’était l’insouciance de l’être qui ne se préoccupe pas du lendemain, qui ne craint pas plus l’avenir qu’il ne l’espère. J’étais ainsi. Une âme au milieu de tant d’autres qui avance dans la vie avec toute la crédulité qu’elle tient de la normalité de son statut, de son état, de son quotidien semblable à mille autres.

Je me souviens. Printemps 2008. Samedi matin. Nous étions à moins de six mois de la chute de Lehman Brothers. A moins de dix-huit mois de mon licenciement.

Ce matin d’août 2019, la presse titrait « La crise est-elle pour demain ? Va-t-on vers une nouvelle crise économique et financière majeure ? »

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Au voyageur absent

Je t’écris ce soir mon amour
Au temps clair
Au temps lourd.
Sous le pont des plaisirs
J’écoute battre le désir,
Celui qu’hier glissait
Dans les torrents enfiévrés
De mes veines assoiffées.
Et ma chair se souvient
Et j’ai encore dans le creux de mes mains
Sur la peau le dos et les seins
Les cicatrices ardentes
De nos caresses impudentes
De nos diablesses luttes lentes.

Je t’écris ce soir mon amour
Au temps clair
Au temps lourd.
Et j’enrage de te savoir si loin
Quand j’ai tant besoin
De ta bouche et tes yeux et tes reins,
De ton sang criminel se mêlant au mien.
Alors je maudis la chaleur de la nuit
Et la fadeur du matin qui s’enfuit
Sans l’ivresse dernière qui apaise la faim.

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Le Canal

J’étais devenue un animal sauvage. Je me cachais comme une bête traquée. Quand je sortais, je rasais les murs, j’avançais d’un pas rapide, la tête baissée. Je ne voulais croiser aucun regard. Qu’ils fussent de mépris ou de pitié, tous me brûlaient la peau comme un condamné au bûcher le jour de son exécution. D’ailleurs, j’avais pris l’habitude de sortir de ma mansarde aux premières heures du jour ou le soir, tard, longtemps après le dîner. Souvent, j’allais déambuler le long du canal. Il était froid. Il était sale. Il était seul. Il était triste. Il serpentait dans la ville en charriant toutes les immondices de la journée. Comme moi.

Je me perdais dans le reflet de ses eaux boueuses. J’y voyais défiler tout mon passé. Ce que j’avais été. Ce que je ne serai plus jamais. Ce que j’avais perdu. Ce en quoi j’avais cru. Toutes mes illusions, toutes mes naïvetés, toutes mes tentatives et tous mes échecs étaient là. Tous mes souvenirs aussi. Oui, mes souvenirs. Ils flottaient, là, comme des cadavres qu’on a oubliés de ramasser, là, à la surface du canal. Soixante ans d’une histoire qui n’intéresse personne gisaient là dans les ondes noires. Et tous ces souvenirs emmêlés, enchevêtrés dans un désordre négligé, tous ces souvenirs n’avaient pas pris une ride, quand mon visage était outragé par des sillons aussi longs que laids. Tout était là, intact, devant mes yeux. Sa belle figure, un peu pâle, un peu mélancolique, si jeune, avec ce regard immense dégradé de brun et d’ocre. Tout était là dans la chaleur de ses mains qui m’aimaient alors. Tout était là, oui, dans un passé plus vivant que ce présent répugnant.

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Plus le temps passe

Des souvenirs par dizaines
Hantent mon esprit
Des paysages de l’enfance
Des champs de blé ou longues plaines
Des rivages d’été aux tapis de garance
C’est là, au fond de la mémoire
Sur ces rives embrumées et lointaines
Que naviguent les âmes noires
Qui se cognent et se plaignent.

Des souvenirs par dizaines
Et du passé la mélodie me revient
Comme un écho se fracasse de paroi en paroi
Des éclats de miroirs par centaines
Petits morceaux de nous de toi de moi
Instants volés, fragments de mémoire,
Douceur passée de nos frêles corps endormis
Dans les hautes herbes du soir
Sous les cerisiers au soleil de minuit.

C’est là tu vois,
Au bord… Tout au bord,
Au coin des yeux
À la cime des cils qu’elle dort
La nostalgie
Cette vieille amie.

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La maison verte

Elle surgit sur le bas-côté au milieu des herbes bleues
À la fenêtre des rideaux blancs de campagne
Et je me souviens
De la cuisine
De la lourde table.

Elle me prend à la gorge
Dans son décor animé de reflets multicolores
Derrière les volets verts
Là-bas
Les souvenirs dorment.

Elle me lancine le cœur
Des lambeaux de mémoire accrochés au portail
De bois clair.
Elle me stoppe dans ma course printanière
Elle m'attire
Jusqu'à l'écume des jours oubliés.

Derrière les murs
Coule l'eau de la rivière à son chevet. 




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Maisons à Auvers-Sur-Oise, Vincent Van Gogh