Il y a des arbres qui racontent des histoires. Près de chez moi, il y en a un. Planté dans un jardin. Très précisément dans le jardin de la maison où j’ai passé mon enfance et mon adolescence. Cet arbre, c’est un sapin et chaque fois que je passe sur le chemin où j’ai traîné mes pneus de vélo à l’âge où l’avenir est ouvert à tous les possibles, à chaque fois, je lève les yeux vers lui et une larme prend naissance au bord de mes cils.
Ce sapin a accueilli les paquets colorés jusqu’au soir de noël. Je ne saurais vous dire de quelle année il s’agissait, mais c’était il y a longtemps. Cette année-là, j’avais insisté auprès de mes parents pour prendre un sapin avec ses racines, et au lendemain des fêtes, j’ai choisi son emplacement dans le jardin, là au centre, en face de la maison, bien au centre. Il était alors aussi petit que moi ou peut-être me dépassait-il d’une tête, d’une branche.
Et puis les années ont passé. Les hivers et les étés. Un jour, j’ai eu 17 ans et j’ai changé de maison. Le sapin lui est resté. Aujourd’hui, il est immense. Il est bien plus haut que la maison qu’il toise de ses branches d’un vert sombre. Du chemin, on l’aperçoit de loin derrière les haies et les ronces. Ce sapin, il raconte mon histoire, celle de mon enfance, celle de mon adolescence. Il raconte mes soirées d’été dans l’herbe, la musique dans les oreilles, mon premier magnétophone, mes rêveries solitaires sur le chemin, dans les champs de blé qui entouraient la maison, dans le cimetière où je traînais mon goût déjà affirmé pour la solitude. Il raconte mes premiers espoirs, mes premiers chagrins, mes premiers carnets griffonnés. Il raconte mes après-midi dans la grange, tout en haut juchée sur les bottes de paille empilées, cachée pour mieux rêver.
Ce n’est pas aux choses qu’on est attaché, c’est aux liens qu’on entretient avec ces choses, qu’elles soient inanimées ou vivantes. Parce que ces liens sont comme les mailles d’un tricot, une maille qui se défait et c’est le tricot tout entier qui finit par se découdre. La vie ne tient qu’à ces fils qui tissent notre histoire.
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