L’arbre aux histoires

Il y a des arbres qui racontent des histoires. Près de chez moi, il y en a un. Planté dans un jardin. Très précisément dans le jardin de la maison où j’ai passé mon enfance et mon adolescence. Cet arbre, c’est un sapin et chaque fois que je passe sur le chemin où j’ai traîné mes pneus de vélo à l’âge où l’avenir est ouvert à tous les possibles, à chaque fois, je lève les yeux vers lui et une larme prend naissance au bord de mes cils.

Ce sapin a accueilli les paquets colorés jusqu’au soir de noël. Je ne saurais vous dire de quelle année il s’agissait, mais c’était il y a longtemps. Cette année-là, j’avais insisté auprès de mes parents pour prendre un sapin avec ses racines, et au lendemain des fêtes, j’ai choisi son emplacement dans le jardin, là au centre, en face de la maison, bien au centre. Il était alors aussi petit que moi ou peut-être me dépassait-il d’une tête, d’une branche.

Et puis les années ont passé. Les hivers et les étés. Un jour, j’ai eu 17 ans et j’ai changé de maison. Le sapin lui est resté. Aujourd’hui, il est immense. Il est bien plus haut que la maison qu’il toise de ses branches d’un vert sombre. Du chemin, on l’aperçoit de loin derrière les haies et les ronces. Ce sapin, il raconte mon histoire, celle de mon enfance, celle de mon adolescence. Il raconte mes soirées d’été dans l’herbe, la musique dans les oreilles, mon premier magnétophone, mes rêveries solitaires sur le chemin, dans les champs de blé qui entouraient la maison, dans le cimetière où je traînais mon goût déjà affirmé pour la solitude. Il raconte mes premiers espoirs, mes premiers chagrins, mes premiers carnets griffonnés. Il raconte mes après-midi dans la grange, tout en haut juchée sur les bottes de paille empilées, cachée pour mieux rêver.

Ce n’est pas aux choses qu’on est attaché, c’est aux liens qu’on entretient avec ces choses, qu’elles soient inanimées ou vivantes. Parce que ces liens sont comme les mailles d’un tricot, une maille qui se défait et c’est le tricot tout entier qui finit par se découdre. La vie ne tient qu’à ces fils qui tissent notre histoire.

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Mes rêves ont 20 ans

Sur la peau le passage des ans
Mais dans le cœur mes folies 
Mais dans l'iris mes envies
Ont 20 ans. 

Dans l'âme quelques plaies
Mal refermées
Pourtant l'espoir reste entier
Il a 20 ans. 

Tu te moques
Tu médis et tu dis
Que mes rêves
Son chimères illusions et folies. 

Laisse-moi avec tes idées
D'adulte égaré
Mes rêves n'ont pas vieilli
Ils sont juste grandi. 

Au coin des yeux les outrages du temps, 
Pourtant regarde au fond
Et tu verras
C'est la même passion
Qu'au jour de mes 20 ans.

Sur mes lèvres le goût des heures
Longues douloureuses
Ou délices de douceur
C'est la même essence fiévreuse,
Dans ma gorge
J'ai 20 ans. 

Tu te moques
Tu médis et tu dis
Que mes idées débloquent
Mais tu crèves de jalousie ! 

Car tes rêves enterrés
Ont mal du temps 
Ce temps où tu avais 
Encore 20 ans. 

Retourne à tes cimetières
A ton confort
A tes vacances balnéaires ! 
Je me joue du sort
Avec mes rêves et mes chimères
Je défie la mort ! 

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Lettre du soir

Mon Cher et Tendre Espoir,

Bien sûr que je t’en veux. Évidemment que je maudis le jour où tu es venu troubler ce semblant de sérénité qui flottait sur mes jours. Le cœur alors était presque léger dans son inconsistance méprisable. Il ne battait que par instinct. Il n’attendait pas. Il n’espérait rien. Les heures se succédaient, corridor droit, chemin tracé. Il me suffisait de suivre la course du soleil, sans réflexion, sans même une émotion. J’étais vide oui. Un coquillage cassé, roulé dans le sable froid de janvier. Un vase ébréché, recollé à la hâte, et qui laisse voir ses cicatrices boursouflées. J’étais laide oui. Une vieille étoffe râpée, par endroit déchirée. Un morceau de linge encore mouillé.

Qu’es-tu venu colorer mes jours gris ? Qu’as-tu fait à mes heures d’ennui ? Qu’as-tu versé dans mon sang l’élixir de l’envie ? Qu’as-tu fait à mon insignifiante vie ? Ô oui ! Comme je t’en veux d’avoir posé sur mes lèvres le goût sucré du miel ! Comme je te déteste d’avoir accroché dans mon ciel des étoiles imitant l’éternel ! Je te maudis mon cher et tendre espoir ! Je te maudis autant que je te chéris.

La mélancolieuse.

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Le flacon et l’ivresse

Je lève mon verre 
À toutes les illusions déçues
À nos amours déchues
À mêmes à nos histoire de cul ! 

Je bois à la santé
Des cœurs trop froids
Nos grands désarrois
Nos sacrifiés.

Je lève mon verre
Aux imbéciles heureux mais désespérés
Aux femmes délaissées
Aux hommes désolés. 

Je bois à la santé
Des nuits pécheresses
Au flacon à la tristesse
À celle qui vient après l'ivresse. 

Je lève mon verre 
À toutes les colères
Celles qui font l'âme plus légère
Ou érigent des cierges.

Je bois à la santé
Des fantômes qu'on oublie
Des visages qui n'ont pas vieilli
De la vie ce sursis. 

Je lève mon verre 
Aux flots de larmes
Aux espoirs qui suivent les drames
À l'incertitude ce charme.

Je bois à la santé
Des erreurs qu'on reproduira
Des douleurs qu'on cajolera
Des chaleurs qu'on recherchera.

Je lève mon verre
À tout ce que la vie
À de plus sale et de plus beau aussi 
À toutes nos histoires
De chair et de guerre
À nos amours éphémères
À nos débauches ordinaires
À nos rencontres singulières
À toutes nos chimères.

Je bois et je lève mon verre ! 

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