Les parfums du passé

Juste quelques pensées
Sur mon cœur,
     Effleuraient.
Le parfum du muguet
Comme un effluve sucré
Sur ma peau,
     Passait.

Je n’ai rien oublié !

Juste le pouls de l’été
Dans ma chambre, 
     Battait.
L’odeur de la rose coupée
Comme une trace pourprée
Sur ma peau, 
     Restait.

Je n’ai rien oublié !

Juste l’odeur des blés
Dans l’atmosphère, 
     Flottait.
L’arôme de la terre mouillée
Comme une empreinte
Dans mon cœur, 
     Gravait.

Je n’ai rien oublié !

Juste mon enfance réveillée
Par les fragrances du passé.
De la terre fertile des près
À la fraîcheur des marais,
C’est la mémoire qui m’est contée.

Les parfums du passé !

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L’arbre aux histoires

Il y a des arbres qui racontent des histoires. Près de chez moi, il y en a un. Planté dans un jardin. Très précisément dans le jardin de la maison où j’ai passé mon enfance et mon adolescence. Cet arbre, c’est un sapin et chaque fois que je passe sur le chemin où j’ai traîné mes pneus de vélo à l’âge où l’avenir est ouvert à tous les possibles, à chaque fois, je lève les yeux vers lui et une larme prend naissance au bord de mes cils.

Ce sapin a accueilli les paquets colorés jusqu’au soir de noël. Je ne saurais vous dire de quelle année il s’agissait, mais c’était il y a longtemps. Cette année-là, j’avais insisté auprès de mes parents pour prendre un sapin avec ses racines, et au lendemain des fêtes, j’ai choisi son emplacement dans le jardin, là au centre, en face de la maison, bien au centre. Il était alors aussi petit que moi ou peut-être me dépassait-il d’une tête, d’une branche.

Et puis les années ont passé. Les hivers et les étés. Un jour, j’ai eu 17 ans et j’ai changé de maison. Le sapin lui est resté. Aujourd’hui, il est immense. Il est bien plus haut que la maison qu’il toise de ses branches d’un vert sombre. Du chemin, on l’aperçoit de loin derrière les haies et les ronces. Ce sapin, il raconte mon histoire, celle de mon enfance, celle de mon adolescence. Il raconte mes soirées d’été dans l’herbe, la musique dans les oreilles, mon premier magnétophone, mes rêveries solitaires sur le chemin, dans les champs de blé qui entouraient la maison, dans le cimetière où je traînais mon goût déjà affirmé pour la solitude. Il raconte mes premiers espoirs, mes premiers chagrins, mes premiers carnets griffonnés. Il raconte mes après-midi dans la grange, tout en haut juchée sur les bottes de paille empilées, cachée pour mieux rêver.

Ce n’est pas aux choses qu’on est attaché, c’est aux liens qu’on entretient avec ces choses, qu’elles soient inanimées ou vivantes. Parce que ces liens sont comme les mailles d’un tricot, une maille qui se défait et c’est le tricot tout entier qui finit par se découdre. La vie ne tient qu’à ces fils qui tissent notre histoire.

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Plus le temps passe

Des souvenirs par dizaines
Hantent mon esprit
Des paysages de l’enfance
Des champs de blé ou longues plaines
Des rivages d’été aux tapis de garance
C’est là, au fond de la mémoire
Sur ces rives embrumées et lointaines
Que naviguent les âmes noires
Qui se cognent et se plaignent.

Des souvenirs par dizaines
Et du passé la mélodie me revient
Comme un écho se fracasse de paroi en paroi
Des éclats de miroirs par centaines
Petits morceaux de nous de toi de moi
Instants volés, fragments de mémoire,
Douceur passée de nos frêles corps endormis
Dans les hautes herbes du soir
Sous les cerisiers au soleil de minuit.

C’est là tu vois,
Au bord… Tout au bord,
Au coin des yeux
À la cime des cils qu’elle dort
La nostalgie
Cette vieille amie.

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Direction Nation (1)

Elle lui écrivait tous les soirs, à l’heure où les bureaux se vident, où les lumières s’éteignent, à l’heure où chacun va attraper son bus, son métro, son train, reprendre son auto. Elle lui écrivait tous les soirs à l’heure où revient la vie. Cette vie intérieure que les longues journées passées au bureau rendent tout à la fois plus précieuse, mais plus fragile aussi. Elle lui écrivait oui, comme on se raccroche au monde des vivants. Comme on s’agrippe au premier de cordée parce que le vide sous les pieds se précise et qu’on se sent glissé. Elle lui écrivait comme ça, tous les soirs de la semaine.

Elle lui écrivait ses banalités de la journée, ses scènes de ménage avec la responsable de projets, ses accès de panique quand le téléphone sonnait, et sonnait encore, sans discontinuer, pendant des heures, ne lui laissant pas même le répit d’une pause-café. Elle lui écrivait ses pensées errantes, ses rêveries d’ailleurs comme des regrets cachés qu’on ne dit jamais, des espoirs oubliés au fond de l’enfance. Parfois, au détour d’une phrase, aux confins d’un aveu trop intime, une larme se formait au coin de l’œil et roulait, sans un bruit, sans même un plissement de paupière. Elle l’écrasait du revers de la main et reprenait le fil de son récit. Et c’est comme ça que se finissait chacune de ses journées, du lundi au vendredi, tout en haut de cette tour de vitres et d’acier.

Puis, sur les coups de vingt heures, elle faisait comme les autres. Elle claquait la porte du bureau, prenait l’ascenseur pour descendre les quinze étages qui la séparaient de la terre ferme, saluait le gardien qui ne manquait jamais de l’interpeller, toujours avec le même sourire bienveillant, toujours avec la même remarque de reproche paternel :

« Vous finissez encore bien tard ce soir, Mademoiselle Lautant ! »

Et elle de lui répondre, comme une enfant sage :
« Vous avez raison Monsieur Gibon. Mais, que voulez-vous… ? Passez une bonne soirée. À demain
— À demain. »

Elle s’engouffrait dans la bouche de métro, ligne 1 jusqu’à Charles de Gaulle – Étoile puis ligne 2 jusqu’à Place Clichy. En hiver, elle aimait profiter des lumières de la ville, même s’il faisait froid, même s’il pleuvait, même s’il neigeait. Elle aimait la nuit. Elle aimait Paris. Elle aimait Paris la nuit. Alors elle déambulait, faisait le tour de la place, s’avançait sur l’avenue de Clichy, puis revenait sur ses pas. Là, elle décidait souvent de s’arrêter à la brasserie Wepler pour y dîner d’une soupe de poisson et d’un gâteau « Opéra » sauce café. Autant que possible, elle aimait s’asseoir près des larges baies vitrées. Elle regardait passer les inconnus qui se pressaient sous la pluie, dans le froid. Où allaient-ils comme ça ? Certains rentraient chez eux, retrouver leur foyer, femme et enfants. D’autres faisaient un détour par l’appartement de leur maîtresse. D’autres encore allaient rejoindre le chien ou le chat, paisiblement assoupi sur le tapis du salon ou le palier de la porte. Mais tous étaient des ombres dans la nuit.

Tous, à l’exception de cette silhouette qu’elle venait d’apercevoir alors qu’elle était en train de finir son dessert. Elle jeta sa cuillère sur le bord de l’assiette et se précipita vers le comptoir pour régler l’addition. Quand elle sortit de la brasserie, la silhouette était en train de disparaître dans la station Place Clichy. Elle se hâta, atteignit le guichet et vit le profil si familier prendre le chemin de la ligne 2 en direction de Nation. Elle courut, le rattrapa et entra dans le même wagon, une porte plus loin. La silhouette lui tournait le dos, la tête penchée en avant, comme plongée dans un livre ou une revue. Une seconde. Il fallut une seconde aux souvenirs pour envahir l’instant. Même si la brume était épaisse sur cette mémoire enfouie, même si une quinzaine d’années étaient passées depuis leur dernière rencontre, la douleur, elle, était restée intacte.

…à suivre…

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La maison verte

Elle surgit sur le bas-côté au milieu des herbes bleues
À la fenêtre des rideaux blancs de campagne
Et je me souviens
De la cuisine
De la lourde table.

Elle me prend à la gorge
Dans son décor animé de reflets multicolores
Derrière les volets verts
Là-bas
Les souvenirs dorment.

Elle me lancine le cœur
Des lambeaux de mémoire accrochés au portail
De bois clair.
Elle me stoppe dans ma course printanière
Elle m'attire
Jusqu'à l'écume des jours oubliés.

Derrière les murs
Coule l'eau de la rivière à son chevet. 




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Maisons à Auvers-Sur-Oise, Vincent Van Gogh

Du temps

Je veux du temps
Pour aimer
Et chanter. 
Du temps 
Pour danser
Et rêver. 

Je veux du temps
Pour un peu de ciel bleu
Du temps 
Pour vivre tout à fait
Pas juste assez. 

Je cours
Du café au bureau 
Du déjeuner au bistrot.
Je cours
De rendez-vous en réunions
De dîners en réception. 
Je cours
Pour me donner l'illusion
D'être vivant. 

Mais je ne suis qu'un astre mort
Une étoile qui a tout brûlé. 
J'ai perdu du temps
Cherché à le rattraper
A vouloir le consommer
Et même le dépasser.

Du temps ! 
Donnez-moi le temps
De vivre toutes les années
De croiser vos routes
Sur des chemins creux et cabossés.

Je veux vivre encore
De vin 
De corps à corps
De sons là-haut perchés
De poésie d'amour
D'hiver en été. 

J'ai perdu tant d'années
A courir d'urgences
En sottes croyances
A me laisser dicter la loi
Des majorités
Celles qui vous disent où il faut être
Mais jamais ce que c'est d'être
Vivant. 

Je perdu tout ce temps
Si précieuses les heures
Si belles les heures
Sous les pommiers
De mon enfance
Dans le grenier
Où dorment nos vacances. 

Je veux du temps ! 
Maintenant
Pour chaque instant présent. 
Du temps
Pour marcher à pas lents
Et m'arrêter souvent. 

Je veux du temps
Maintenant ! 

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J’ai oublié d’oublier

Le passé ne se rejoue jamais 
L'avenir est un chemin incertain
Le présent une clameur.

Et pourtant...

Il s'habille d'hier le présent
Se maquille des possible de demain
Quel menteur tu fais, mon présent ! 

A me faire croire
A carpe diem
A coups de cœur
A coups de foudre
A coups de nerf
A coups de main
A coups d'humeur
Que tu comptes toi seul
Tout seul
Que tu es vivant
Qu'hier est mort
Que demain n'est pas né. 

Le vent souffle dans les cheveux
Siffle un drôle d'air familier. 
J'ai envie de voir la mer
Aller là-bas sur les rochers d'hier
Et puis marcher. 
Prendre la bourrasque en pleine gueule
L'avaler jusqu'à étouffer
Hurler contre la brise légère
Mêler mes larmes au sel aux embruns. 

Me souvenir... 

On ne devrait jamais revenir 
Dans les murs de son enfance
Ça transpire. Ça craque. 
Ça dégouline sur les planchers
Ça chiale dans les buffets
Ça sue dans les armoires
Ça pue dans les placards. 

Il y a ces morts jamais oubliés
Qui se réveillent et qui marchent
Sur les planchers de la mémoire. 

Il y a la vieille dame aux cheveux d'argent
Qui accompagnait mes goûters d'enfant
Son sourire sans âge
Sa belle figure creusée
Sa main aux veines bleues aux veines sages. 

Il y a la grande table de la cuisine
Les confitures et les tartines
Le chocolat chaud épais fumant
Il y a ma vie 
J'avais cinq ans. 

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Nous avions rendez-vous

Je t'ai rencontré
Enfin ! 
Dans cette maison où nos exils se sont rejoints. 

J'ai dormi dans tes nuits d'enfant
Rêvé dans ton passé
Habité pour quelques heures
Nos sangs mêlés 
Retrouvés. 

Tu as tant manqué ! 
D'enfance bancale en adolescence mutilée
Ma vie c'est le radeau comme tu l'as fabriqué.

Je t'ai rencontré
Enfin ! 
Dans cette maison où nos naissances sont familières. 

J'ai posé mes pas dans les tiens
Respiré l'air de tes jours vivants
J'ai pris dans mon bagage
Ta lumière. 

Et pourtant
Tu manques encore tant et tant ! 
Tu manqueras autant que dans mes veines
Coulera ton sang.

Mais je t'ai rencontré
Enfin ! 
Dans cette maison au pied des Pyrénées
Et avec moi je t'ai ramené. 

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Frères d’âmes

Il est de certaines amitiés comme d’histoires d’amour particulières. Ces amitiés qui ne réclament ni longueur de temps, ni même présence continue pour s’épanouir et s’habiller d’évidence. Il y avait lui. Il y avait moi. Il y a désormais nous.

Il y a en lui cette tendresse, cette bienveillance quand il me parle, quand il m’écrit. Il y a aussi cette longueur d’âme qui nous attire l’un vers l’autre au jardin de pensées tout à la fois communes et singulières. Il me pense si bien et je reçois sa conscience avec une telle acuité, qu’il me semble parfois que nous avons été jumeaux dans une autre vie. Celle-ci nous a séparés durant de longues années. Et pourtant quand elle nous a réunis à nouveau, le temps écoulé n’était qu’un tic-tac tintinnabulant, imperceptible, sur le poignet. Je ne saurais expliquer cette reconnaissance mutuelle. Nos sensibilités peut-être, cet instinct animal qui nous fait, l’un et l’autre, sentir tout le feu de l’existence, tout ce qu’elle porte de plus violent, de souffrance et de tristesse, mais aussi de bonheurs fous, de griseries intenses, et même d’espoir parfois.

Il est de certaines amitiés comme d’histoires d’amour singulières. Ces amitiés qui ignorent l’ambiguïté, qui laissent toute la place à la fraternité, quand il et je font nous.

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