Il est un sujet qu’on traite peu dans l’ensemble, depuis le début de cette « affaire du covid19 », même si quelques médias, de manière sporadique, s’en sont fait l’écho.
Ce sujet, c’est la torture – j’utilise le mot à dessein après avoir pris connaissance des témoignages de Stéphanie Bataille (1) et de Laurent Frémont (2), pour ne parler que d’eux – qu’on inflige aux patients hospitalisés pour cause de covid et à leurs familles. Interdire aux familles de voir leur proche malade et parfois mourant, interdire aux malades de recevoir la visite, tellement indispensable quand on souffre, quand on a peur pour sa vie, de leurs proches : voilà des décisions qui relèvent de la torture mentale. Il semble, aux dires de nombreux témoignages de familles touchées, que certains petits chefs (d’établissement ou de service) ont des comportements qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’humanité.
Le même manque d’humanité est infligé aux défunts et leurs familles. Mise en bière du corps nu dans une housse en plastique, impossibilité de se recueillir devant le corps d’un défunt qu’on aurait dignement habillé pour son dernier voyage, impossibilité pour beaucoup de famille de voir une dernière fois le visage de leur parent décédé, parfois même de tout autre chose que du covid. Laurent Frémont témoigne que son père, déclaré mort du covid, est en réalité décédé d’une septicémie consécutive à une maladie nosocomiale. L’hôpital (dans son cas, il me semble qu’il s’agit plus précisément d’une clinique privée) par la voix de ses représentants lui a refusé l’accès à la chambre de son père alors que ce dernier n’était plus positif au covid, alors que Laurent Frémont était lui-même négatif. Ce qui se passe derrière les murs de certains hôpitaux, de certaines cliniques, n’a plus rien à voir avec l’humanité.
Je sais qu’à l’heure où les soignants sont les nouveaux héros (et à bien des égards ils le sont, mais ce n’est pas nouveau), dénoncer le comportement, même si ce n’est que de quelques-uns qui font la pluie et le beau temps à l’hôpital, qu’il soit public ou privé, sera regardé comme un sacrilège. Pourtant je suis intimement convaincue qu’il faut entendre ces voix qui s’élèvent des vivants, mais aussi du fond des tombes et des cendres de ceux qu’une nouvelle barbarie a si mal traités. Je dis barbarie parce qu’elle est le contraire de la civilisation dans un dictionnaire des synonymes et des contraires. Et que lit-on dans ce même dictionnaire au tiret synonyme de civilisation ? On y lit le mot culture. La boucle est bouclée. La culture est abandonnée. La civilisation est piétinée.
Je ne suis pas anthropologue, mais il me semble bien que l’humanité s’est constituée à partir du moment où les hommes se sont mis à pratiquer des rites funéraires. Les hommes au pouvoir et une partie du corps médical s’enorgueillissent d’avoir élevé au plus haut la civilisation, en enfermant la population chez elle pour sauver les plus fragiles qui sont souvent les plus âgés. C’est au nom de leur conception de la civilisation que des hommes et des femmes ont été bouclés dans leur chambre d’Ehpad, qu’ils ont été interdits de sortie dans les jardins de leur résidence au bras de leur fille ou de leur fils parce que cet étranger (est étranger à l’Ehpad celui lui vient de dehors) était susceptible de ramener la maladie entre les murs de ces nouveaux lieux d’incarcération. Mais les personnels qui travaillent dans l’Ehpad eux aussi viennent chaque jour du dehors ! Et jamais personne n’a songé à leur interdire d’accéder aux résidents. Quelle civilisation séquestre des petits vieux dans leur chambre, les empêche de voir leurs proches, qui plus est quand ils sont au plus mal ? Quelle civilisation vole les dernières années, les derniers mois d’hommes et de femmes qui sont nos parents, nos grands-parents ou arrière-grands-parents ? Quelle civilisation interdit à des malades hospitalisés de recevoir la visite, tellement essentielle, de leurs proches ? Quelle civilisation traite le corps des défunts comme un morceau de chair avariée dont il faut très vite se débarrasser de peur qu’il ne contamine les vivants ? Que je sache le covid19 n’est pas la peste noire !
Stéphanie Bataille et Laurent Frémont, qui ont chacun perdu leur père, sont à l’initiative d’un collectif qui a pris le nom de « Tenir ta main » (3) pour que plus jamais les malades ne soient séquestrés et empêchés de voir leurs proches, pour que plus jamais les familles ne soient retenues derrière des portes closes et interdites de visiter leur parent malade ou mourant. Des artistes (4) (5) se sont mêlées à ces voix, pour rallumer la flamme de l’humanité que certains hygiénistes fanatiques, emplis de morgue et du petit pouvoir que leur confère leur fonction au sein du système hospitalier (public ou privé), piétinent de façon totalement décomplexée depuis douze mois.
Ce que ces dérives – qui résultent d’un pouvoir médical se sentant tout-puissant parce qu’investi du savoir et de la science, pouvoir que nous, patients et familles de patients, suivons parfois aveuglément parce que la blouse blanche fait autorité (je vous renvoie à l’expérience de Milgram) (6) – nous apprennent, c’est qu’il est temps de parler de la démocratie en santé. Car malgré un certain nombre de principes et de lois comme la loi Kouchner (7) sur le droit à l’information du patient, le droit au consentement, etc. l’hôpital continue d’être un lieu où les voix du patient et de sa famille restent trop peu écoutées, car ceux-ci ne sont pas des experts en santé. L’hôpital n’appartient pas à ceux qui le dirigent. L’hôpital appartient à ceux qui le font et l’utilisent : infirmiers, brancardiers, aides-soignants, patients, citoyens, médecins. Les directeurs d’établissement et chefs de service ne sont que quelques-uns parmi tous les acteurs de l’hôpital. Leur toute-puissance n’est pas légitime. Elle l’est d’autant moins quand elle devient nuisible.
Le collectif « Tenir ta main » se bat pour l’inscription dans la loi – puisqu’il faut désormais, dans cette société artificialisée, en passer par la loi pour faire respecter ce qui relève d’un droit naturel – d’un droit de visite aux patients opposable aux chefs d’établissements, et cela, dans tous les établissements de santé, à tout moment de l’hospitalisation et quelles que soient les circonstances sanitaires.
Demain, ce sera peut-être votre père, votre mère, votre sœur, votre conjoint ou vous-même qui serez à la place du malade hospitalisé ou de son parent. Personne ne doit être privé de ceux qu’il aime pendant une hospitalisation. Personne ne doit mourir seul quand il a une famille ou des amis qui attendent de l’autre côté de la porte. Personne ne doit être séquestré derrière les murs d’un hôpital ou d’un Ehpad, ou bien alors il faut dès à présent renommer ces lieux et les faire entrer dans la catégorie des « lieux de privation de libertés » !
Pour toutes ces raisons je soutiens le collectif « Tenir ta main » !
- https://www.youtube.com/watch?v=untMrW4BTCU
- https://www.youtube.com/watch?v=6h–k9UcilM
- https://www.tenirtamain.fr/
- https://www.youtube.com/watch?v=AJ5eYiTHwXU
- https://www.youtube.com/watch?v=2Qog5rT1QHQ
- https://www.youtube.com/watch?v=mxf7G0WEJ20
- https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2014-1-page-27.htm
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