Le chant du cygne

Danse ma plume,
Danse !
Sur mes nuits
D’insomnie,
Sur mes jours
Trop courts.
Donne-moi des mots,
Des mots doux, des mots lents.
Danse ma plume,
Danse !
Sur ma vie
Mon agonie
Sur mon cœur
Rageur.
Donne-moi des mots,
Des mots sales et violents.
Danse ma plume,
Danse !
Sur mes rêves
Qui crèvent,
Mes demains
Sans festin.
Donne-moi des mots,
Des mots crasse et moqueurs.
Danse ma plume,
Danse !
Sur mes amours
Chagrin
Mon glamour
Éteint. 
Donne-moi des mots,
Des mots durs et vengeurs.
Danse ma plume,
Danse !
Dans le bruit ou le silence
Dessine sur ma décadence.
Danse ma plume,
Danse !	

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La part du solitaire

Ce que cette crise sanitaire éprouve en nous, c’est notre patience. Les rescapés seront peut-être celles et ceux qui auront été capables d’attendre un jour de plus, une semaine supplémentaire, un mois encore.

Avant cette crise d’un genre inédit vous étiez-vous jamais posé cette question : combien de temps suis-je capable de tenir sans presque plus de vie sociale ? Sans plus voir ni collègues de travail, ni amis, ni famille, ni passants ? Combien de temps puis-je tenir dans la solitude de mes murs ? Dans la solitude des jours et des nuits ?

Se retrouver seul avec soi-même, n’avoir pour toute compagnie que ses pensées, ses incertitudes et ses questions ; voilà qui ne va pas de soi dans un monde de bruit où chacun court à toute heure pour attraper un train ou un bus, pour arriver à l’heure à un rendez-vous ou une réunion, pour s’offrir en représentation. Cette crise est faite pour les solitaires, les vrais ; pas les solitaires malgré eux, ces solitaires improvisés que cette improvisation rend tellement malheureux. Non ! Cette crise est faite pour les solitaires qui tutoient la retraite ou l’exil intérieur, ceux qui parviennent à se sentir infiniment seul au milieu d’une foule turbulente ; ces solitaires qui aiment leur solitude, la chérissent, la préservent, lui bâtissent un cocon pour mieux la caresser. Ce n’est pas que ces solitaires-là n’aiment pas leurs congénères. Encore que… Mais au fond, non. Même si par goût de la provocation, par souci de mythification, ils prennent souvent un malin plaisir à vous faire croire, avec un cynisme emprunté, qu’ils n’aiment personne, en réalité, ils sont souvent capables de la plus sincère empathie envers leurs semblables. Non, en vérité ce qu’ils aiment par-dessus tout dans leur solitude organisée, c’est une atmosphère, une ambiance, une résonance, une vibration. Drapé dans la chaleur d’un feu qui brûle dans une cheminée ou un poêle à bois, c’est le plus souvent au milieu des nuits noires et silencieuses, ou alors juste troublées par les pulsations d’un saxophone, que le solitaire jouit avec une délectation unique de cet isolement choisi.

Le solitaire est cette espèce d’homme ou de femme qu’une sensibilité exacerbée, qu’une émotivité à fleur de peau, disqualifie immanquablement pour les rudesses de la vie en société. Le solitaire peine à mentir. Faire semblant réclame de sa part des efforts colossaux qu’il ne peut renouveler qu’avec la plus grande parcimonie.  Il se fatigue très vite dans les exercices convenus que toute représentation sociale exige. Il rougit. Il se contient. Il bout. Il fulmine. Il prend le large quand la tension est trop grande et qu’il sent que l’implosion est proche.

Le solitaire, c’est cet individu qui envoie valser les convenances avec une désinvolture qui n’appartient qu’à lui. Quand la coupe de la mascarade est pleine, qu’il ne parvient plus à jouer le rôle que la société policée attend de lui, c’est ce personnage déconcertant qui se lève de son siège très calmement et vous lance d’un ton glacial, les yeux dans les yeux, que vous l’emmerdez prodigieusement, que tout ce que vous représentez d’ailleurs l’emmerde au plus haut point et que l’heure est venue pour lui de se tirer. Le solitaire ne supporte la vie en société que par nécessité, parce qu’il faut bien bouffer, et par intermittence. Ses fuites répétées et régulières sont vitales au solitaire. Sans ces temps d’isolement, il se flétrit, se rabougrit, s’aigrit et risque alors de tomber dans une véritable misanthropie. C’est parce que le solitaire connaît ses limites, parce qu’il sait à quel moment il est temps pour lui de prendre la poudre d’escampette, qu’il continue à appartenir au monde des hommes. Quand il est avec vous, véritablement j’entends, vous pouvez considérer que c’est un choix délibéré de sa part, qu’il ne se force en rien et que votre compagnie lui est heureuse. Car ce qui le caractérise entre tout, c’est cette franchise qui lui fait avouer les vérités les plus dures, non par cruauté, mais parce qu’il est tout simplement dans l’impossibilité physique de les dissimuler.

Alors vous comprendrez que pour ce solitaire-là, l’isolement un jour de plus, une semaine supplémentaire ou un mois encore n’est rien. Bien au contraire, il y trouve son compte. Ne plus voir les foules, ne plus presser le pas dans des rues, échapper, sans culpabilité aucune, aux traditionnelles cohues dans les boutiques bondées par les obligations consommatrices des fêtes de fin d’année,  ne plus avoir à supporter pour quelque temps bénis encore le petit tyran que l’entreprise a nommé chef de service ou simplement la présence parfois pesante de clients ; tout cela pour le solitaire relève d’un vœu mille fois fait et enfin exhaussé. 

Le solitaire ne tire aucune gloire particulière de cette aptitude innée à supporter parfaitement ce qui relève de la torture mentale pour ses congénères qui rêvent de retrouver leur vie d’avant. Il n’en tire ni gloire, ni fierté. Il constate simplement que sa vie n’a guère changé, lui qui a coutume de fuir les mondanités, les invitations, les bars encombrés, les terrasses serrées, les files d’attente, les galeries commerciales et autres temples de la consommation. Ce n’est pas que le solitaire approuve la manière autoritaire et brutale avec laquelle les gouvernements gèrent la crise sanitaire. Au contraire, il s’élève contre toutes les atteintes aux libertés individuelles et collectives par principe, par idéal aussi. Il aime la solitude justement parce qu’il est attaché à la liberté. L’une et l’autre sont jumelles dans son univers. Il ne se réjouit aucunement de voir les restaurants, les bars, les discothèques – autant d’endroits où il ne met jamais les pieds – fermés. Il n’est pas dupe non plus et se rend bien compte de la manière honteuse avec laquelle la crise est instrumentalisée par le pouvoir politique. Simplement tout cela n’a que peu d’impact sur sa réalité, ce qui ne l’empêche pas d’être solidaire avec ceux dont la réalité est tout autre.

Le solitaire coule ainsi des jours et des nuits heureuses au cœur d’un hiver qui pourrait sembler sans fin à beaucoup, mais qui ressemble pour lui à un cocon douillet où il cultive ses rêves, ses fantaisies, où ses pensées vagabondent ailleurs, loin, très loin de ce qui se passe dehors et ça lui va bien.

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Room in Brooklyn, Edward Hooper, 1932

Ce jour ou un autre

Je ne suis pas femme à chiffres.
Ces inconnus de passage
Dans les registres et les cahiers
Dans les courriers et les contrats
Partout sur mes papiers
Ils sont de parfaits étrangers.
Je les vois sans les regarder,
Leur langage n’est qu’une bouillie
À mon palais
De de fin gourmet.

Je ne suis pas femme à chiffres.
Je ne compte ni les jours ni les semaines,
Je laisse les mois comme les années
Dévaler les pentes de l’éternité.

Mes artères et mes viscères ont 40 ans aujourd’hui.
Vous êtes sûr Docteur ?
Et mon âme ? Et mon cœur ?
Je les sens si pleins de la même fraîcheur
Qui emplissait hier le printemps de mes 20 ans.
Oui, bien sûr… Bien sûr je vous crois,
Une carte d’identité ça ne ment pas
Et puis ma mère est encore là
Pour me dire quel bébé rose et joufflu
Elle tenait dans ses bras
En ce jour d’avril 1976
Dans cette maternité aux vitres étouffantes.

Mais je ne suis pas femme à chiffres
Décidément non !
Je ne comprends rien à ces signes
Qui s’alignent.

40 ans aujourd’hui,
Vraiment ça n’a pas de sens
Pas de signification
Si ce n’est pour le monde autour de moi
Qui voit dans ces chiffres
Un cap, un seuil, un moment critique
Un stade ultime
Où l’être bascule vers d’autres abîmes.
Je n’objecte pas, je ne renie rien,
Je ne comprends tout simplement pas.

Je ne suis pas femme à chiffres.
Femme à mots, femme à livres,
Femme à rire, femme à vivre,
Femme à colère, femme à folies,
Femme à rêves, femme à désir,
Femme à cris, femme à dire.
Non, décidément je ne comprends pas
Ces chiffres affichés
Qui devraient me raconter
Dresser un portrait
Validé, certifié, homologué par des usages
Qui entérinent mon âge.

Mais comment vous dire alors
Que c’est le même pouls
Qui tambourine sous la peau ?
Le même bouillon
Qui crapahute dans les veines.
Comment vous dire encore
Que c’est le même éblouissement qui cogne
Face à une mer d’étoiles dans un ciel de juillet ?
La même lave qui bat
Sous les paupières
Que le ballet des oiseaux est toujours le premier,
Que le soleil de mai est chaque fois nouveau.
Comment vous dire aussi
Que les révoltes sont intactes ?
Les exaspérations toujours vivaces
Et les envies de chambardement évidemment tenaces.

Je ne suis pas femme à chiffres
Décidément !
Mais fêtons ensemble mes 40 ans
Puisque tel est votre plaisir.
Et que le vin coule à flots,
Et que les fruits gros et juteux éclaboussent nos jeux,
Et que l’insolence soit notre maître-mot,
Et que la passion soit notre seul flambeau
Comme au jour de nos dix, de nos vingt, de nos trente ans
Comme à chaque jour nouveau
Sur la vie ensommeillée de rêves
Qui se lève.

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Le songe d’une nuit

Ce soir, me promenant dans le jardin, 
J'ai aperçu près du bosquet aux amarantes, 
Tout de vert vêtu, un lutin.
Eclairé par la lune, dans ses mains élégantes
Brillait le flacon gardien des temps.

"Si tu reviens me voir dans la brume matinale
"A l'heure où s'éveillent les fleurs poivrées, 
"Je te livrerai le secret de l'épreuve fatale
"Et au funeste destin du pourras échapper."

Dans le ballet des ombres de mon alcôve velours
Je caresse la divine promesse de la nuit.
Dans la cruelle froideur, dans l'attente du jour, 
J'imagine l'insolente tentation de l'éternelle vie. 

Au creux de la vague dans mes draps de satin
Une langueur me tire des bras de Morphée.
Dans un excès de mollesse je crois voir le matin, 
La flamme fauve de l'aurore, limpide clarté. 

Mais la lune est encore là, bel oiseau blanc
Elle dessine son large disque d'opale irisée. 
Elle navigue, bateau solitaire, dans cet océan
Et savoure la plainte impatiente de mon âme tourmentée.

Je m'abandonne encore un peu aux ténèbres de la nuit, 
Je laisse mon corps céder à cette étrange volupté.
L'aube sera bientôt là et déjà le rêve s'enfuit. 
Alors je goûte une dernière fois mon doux secret.

Soudain j'entends l'alouette messagère du jour, 
Elle apporte avec elle les lumières de l'été.
Elle m'enlève aux murmures d'un sommeil trop court, 
Et m'arrache aux rivages où la nuit m'a égarée. 

les pieds nus, j'avance hésitante dans la verte rosée. 
Le soleil maquille déjà d'or rouge le vaste horizon.
Mais aucun lutin pour me donner les clés de l'éternité, 
Il n'était qu'un songe échappé de mon imagination.

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L’aquarelliste

Sa main vole glisse sur le papier
Telle une plume dans le vent.
A bout de pinceau avec la précision d'un archet
Il caresse la toile de ses gestes élégants.
De ses doigts enroulés tentacules serrés
Il balade l'instrument sur les courbes du temps.
Dans une danse rapide et toujours maîtrisée
Il invente des visions des ailleurs éclatants.
Le regard plein de ses rêves colorés
Il n'a d'yeux que pour elle. Ah ! Maudite aquarelle ! 
J'ai beau me presser lascive à son côté
Je suis bien peu de chose la rivale est trop belle.
De nuits lourdes d'insomnie en matins endormis 
Le ballet de ses mains lui concède mille caresses. 
Et jusque dans mes rêves où là aussi il m'oublie
Je croise le fer avec son insolente maîtresse.

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Une vie mais cent chemins

Un jour
Je me souviens
J'étais sur le même chemin. 
Je suivais la route à vos côtés
J'avais chaussé les bottes de la normalité
Enfilé le même uniforme. 

J'étais comme il convient
Conforme
Dans la norme.
Je m'habillais à vos idées
J'avais cette vie bien rangée
Qu'il vous plaisait de constater.

Oh ! 
Il m'arrivait bien parfois 
De m'égarer
De ne pas marcher tout à fait droit.
La nature au fond de moi 
Suait cognait se mettait à gueuler
Et par tous les pores de ma peau
Le venin sournoisement s'épanchait. 

Ce qui sortait de mes mots
Sentait la charogne le renfermé. 
Je puais le mensonge vous l'appeliez vérité.
A ce jeu là j'ai failli perdre mon âge
Et j'ai perdu bien des années.

J'ai erré
Dans votre monde aseptisé
Doucement la flamme
Dans mon cœur s'éteignait ;
J'avais chaud j'avais froid
Mon corps tout entier
Se battait.

Un matin
Je me souviens
Je me suis levée avec la nausée
Plus forte
Plus grande que jamais
Plus l'envie de rien
Juste celle de crever 
Pour quitter
Enfin ! 
Ce cirque désespéré. 

Plus question d'aller dans vos pas
De suivre le chemin
Celui que vous aviez tracé.
Fini de se prosterner
De courber l'échine et de remercier
Pour quelques miettes concédées. 

J'ai pris ma main
Par la main
Ensemble nous sommes allées
Loin de vos routes trop droites
De vos pensées trop étroites. 
Toutes deux on s'est mis à rêver
A construire
A inventer
Demain
Et puis après. 

On a quitté le confort de l'immédiateté
Pour un fond de campagne
Entre prairies et marais. 
Où on a posé nos valises fatiguées. 

Le soir je me promène désormais
Dans le jardin qui fleure bon le seringat
Le thym et l'herbe coupée. 
Dans un vieux pantalon rapiécé
Je passe sous les lilas
Je vais jusqu'au poulailler
Je prends les œufs du jour
Je hume l'air frais
Je savoure
Cette nouvelle liberté.

Je n'ai plus rien
Je suis nue à vos yeux.

Je n'ai plus rien il est vrai
Juste mon humanité
Celle qui pousse au jardin
Avec mon ail et mes fraisiers.

Je n'ai plus rien
Que la terre
Celle dans laquelle j'enfonce mes mains
Celle où je plante 
Ce qui poussera demain. 

Je n'ai plus rien 
Que ma vie sous les figuiers
A quelques pas des marronniers
Dans mon pardessus un peu râpé.

Quand je viens vous visiter
On n'a plus rien à se raconter. 
Si vous saviez comme je me fous
Que les assiettes soient bien placées
Sur la nappe bien repassée. 

Si vous saviez comme je n'envie rien
De vos vies propres et bien rangées
Si vous saviez comme je suis bien
Dans ma vie de "sans le sou"
Quand la vôtre est endettée 
A perpétuité. 

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Mes rêves ont 20 ans

Sur la peau le passage des ans
Mais dans le cœur mes folies 
Mais dans l'iris mes envies
Ont 20 ans. 

Dans l'âme quelques plaies
Mal refermées
Pourtant l'espoir reste entier
Il a 20 ans. 

Tu te moques
Tu médis et tu dis
Que mes rêves
Son chimères illusions et folies. 

Laisse-moi avec tes idées
D'adulte égaré
Mes rêves n'ont pas vieilli
Ils sont juste grandi. 

Au coin des yeux les outrages du temps, 
Pourtant regarde au fond
Et tu verras
C'est la même passion
Qu'au jour de mes 20 ans.

Sur mes lèvres le goût des heures
Longues douloureuses
Ou délices de douceur
C'est la même essence fiévreuse,
Dans ma gorge
J'ai 20 ans. 

Tu te moques
Tu médis et tu dis
Que mes idées débloquent
Mais tu crèves de jalousie ! 

Car tes rêves enterrés
Ont mal du temps 
Ce temps où tu avais 
Encore 20 ans. 

Retourne à tes cimetières
A ton confort
A tes vacances balnéaires ! 
Je me joue du sort
Avec mes rêves et mes chimères
Je défie la mort ! 

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Sur le sentier fleuri

Je suis partie en exil 
Vous ai laissé les bruits de la ville. 
J'ai déserté les routes goudronnées
Leur préférant les chemins de terre accidentés. 

J'ai fui la course intrépide du citadin pressé
Pour retrouver la lenteur du pays où je suis née. 
J'ai été lâche peut-être
Je suis partie sans même une lettre. 

Comme un animal blessé
Je suis allée me cacher
Dans les foins les herbes
Les prés. 

Je me suis couchée
La tête au soleil naissant d'avril
Le cœur déjà tourné vers mai
Dans des rêves encore fébriles.

Yeux grands ouverts
Je guette maintenant
La fauvette et son chant
Douce musique printanière.

Le chat se prélasse sur la pierre
Le lézard danse dans le lierre
Le pêcher est en fleurs
Et les pollens volent en poussière dorée.

Oui ! Je suis partie en exil
Loin, bien loin des bruits de la ville. 

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