Un jour, je me souviens
J’étais sur le même chemin.
Je suivais la route à vos côtés
J’avais chaussé les bottes de la normalité
Enfilé le même uniforme.
J’étais comme il convenait
Conforme, dans la norme
Je m’habillais à vos idées
J’avais cette vie bien rangée
Qu’il vous plaisait de constater.
Oh ! Il m’arrivait bien parfois
De m’égarer,
De ne pas marcher tout à fait droit.
La nature au fond de moi
Suait, cognait, se mettait à gueuler
Et par tous les pores de ma peau
Le venin sournoisement s’épanchait.
Ce qui sortait de mes mots
Sentait la charogne et le renfermé.
Je puais le mensonge, vous l’appeliez vérité !
A ce jeu là, j’ai failli perdre mon âme
Et j’ai perdu bien des années !
J’ai erré dans les couloirs putrides
De votre monde aseptisé,
Et doucement la flamme
Dans mon cœur s’éteignait.
J’avais chaud, j’avais froid
Mon corps tout entier
Se battait dans ce désert aride
Où pour moi plus rien ne poussait.
Un matin, je me souviens
Je me suis levée avec la nausée
Plus forte, plus grande que jamais
Et plus l’envie de rien
Juste celle de crever
De quitter enfin
Ce cirque désespéré.
Plus question d’aller dans vos pas
De suivre le chemin
Celui que vous pensez tout tracé.
Fini de se prosterner
De courber l’échine et de remercier
Pour quelques miettes abandonnées.
Alors j’ai pris ma vie par la main
Et ensemble nous sommes allées
Loin de vos routes trop droites
De vos pensées trop étroites.
Toutes les deux on s’est mis à rêver
A reconstruire, à inventer
Demain et puis après.
On a quitté le confort de l’immédiateté
Pour le bonheur de la durée.
Dans un fond de campagne
Entre vertes prairies et marais
On a posé nos valises fatiguées.
Le soir je me promène désormais
Dans le jardin qui fleure bon le seringat,
Le thym et l’herbe coupée.
Dans mon vieux pantalon rapiécé
Je passe sous les lilas
Et je vais jusqu’au poulailler
Je prends les œufs du jour
Je hume l’air frais et je savoure
Cette nouvelle liberté.
Je n’ai plus rien,
Plus rien à vos yeux de citadins
Intoxiqués par tous ces biens
Qui font de vous des prisonniers,
Marchands et receleurs
Accrochés à vos aigreurs.
Je n’ai plus rien,
Plus rien que mon humanité
Celle qui pousse au jardin
Avec mon ail et mes fraisiers
Celle qui se nourrit de la terre
Dans laquelle j’enfonce mes mains
Pour planter les tomates qui pousseront demain.
Je sais bien qu’elle vous déplait
Cette nouvelle vie sous les figuiers
A quelques pas des marronniers.
Je n’ai plus les ongles peints
Les ongles faits.
Mon pardessus est un peu râpé
Et quand je viens vous visiter
On n’a plus rien à se raconter.
Si vous saviez comme je me fous
Que les assiettes soient assorties
A la nappe ou au buffet en acajou !
Si vous saviez comme je n’envie rien
De cette vie bien propre
Que vous portez autour du cou !
Si vous saviez comme je suis bien
Dans ma vie de « sans le sou »
Quand la vôtre est endettée
…à perpétuité.
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Emma, ce soir, tu me fais pleurer, tellement tout ce que tu dis me touche.
Chère Noizette,
Vos larmes m’ont émue et ont fait monter les miennes. Ma mission est donc accomplie, non pas celle de vous faire pleurer, mais celle qui consiste à raconter toutes vos histoires, celles des hommes et des femmes que je vois, que je croise, que je suis moi aussi.