Éternel

Mon soleil, ma dune, mon été,
Mon hiver, mon ciel, mon rocher,
Doucement comme un rêve éveillé,
Tu cheminais sur mes sentiers.
J’ai voulu, j’ai rêvé, j’ai aimé,
Mon soleil, ma dune, mon été,
Ma mer, mon île, mon alizé,
Et toujours je t’aimais.
Ma mer, mon île, mon alizé,
Mon soleil, ma dune, mon été,
Silencieux, tu glisses désormais
Radeau frêle sur des eaux glacées.
J’ai cherché, j’ai trouvé, j’ai aimé,
Mon soleil, mon été, mon alizé,
Mon île, ma mer, mon rocher,
Pour une vie, pour un siècle, pour une éternité.

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Renaître

J'ai perdu mon temps en futilités
Vendu des assurances vie
Répondu à des appels d'offres
Inventé des slogans mauvais
Rempli des cases
Tracé des lignes.
         Ce matin c'est décidé ! 

En ouvrant les volets
Le bouquet de marguerites était là
         Planté
Au milieu des herbes sèches.
Il se dressait fier et droit
Sa corolle de mariée
Son cœur de citron
Sous un ciel sans nuages.

J'ai respiré
Toutes ailes déployées
Gonflé les poumons
Ouvert grand les bras
Le soleil était franc
Il me regardait.

         Ce matin j'ai décidé ! 

Je n'ai plus de temps pour les futilités
Le temps qui vient
Celui qui reste
Est trop précieux. 
Je le consacrerai désormais
A l'important, à l'essentiel
A ce que la vie fait de mieux.

Je passerai des heures avec les papillons
Coulerai des après-midi entières
Dans le gai piaillement des oiseaux
Lirai du soir au matin
Les cent et un ouvrages
En retard et relirai tous les autres
La prose de Zweig, de Fitzgerald
La poésie de Plath, de Dickinson, de Tsvetaïeva.

Je marcherai longtemps par les sentiers
J'irai voir la mer
Me barbouillerai la tête de ses bleus
Azur turquoise et indigo.
Je reviendrai à la nuit tombée
Après m'être enivrée de guitares flamencos
Je passerai par les ruelles brûlantes
De juillet. 

Je dormirai toutes fenêtres ouvertes
         Bercée
Par le coassement des rainettes
Par le ululement de la chouette
Je laisserai le matin s'infiltrer par les persiennes
Ma peau à la caresse du soleil montant
J'enfoncerai dans les coussins mon visage
Encore ensommeillé et tout pâle
Je me régalerai des premières vapeurs
Du café chaud et fumant.

Rien ne sera jamais plus inutile
         Fut-il.
Chaque nuit verra poindre une lune nouvelle
Dans les draps blancs parfumés
D'épis de lavande. 
Chaque jour s'offrira en cadeau 
Sur le seuil de la porte
Frappera le rayon joyeux
         Des saisons
De printemps en hiver
D'automne en été
L'étendue de mes rêves
Sera le chemin.

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Direction Nation (1)

Elle lui écrivait tous les soirs, à l’heure où les bureaux se vident, où les lumières s’éteignent, à l’heure où chacun va attraper son bus, son métro, son train, reprendre son auto. Elle lui écrivait tous les soirs à l’heure où revient la vie. Cette vie intérieure que les longues journées passées au bureau rendent tout à la fois plus précieuse, mais plus fragile aussi. Elle lui écrivait oui, comme on se raccroche au monde des vivants. Comme on s’agrippe au premier de cordée parce que le vide sous les pieds se précise et qu’on se sent glissé. Elle lui écrivait comme ça, tous les soirs de la semaine.

Elle lui écrivait ses banalités de la journée, ses scènes de ménage avec la responsable de projets, ses accès de panique quand le téléphone sonnait, et sonnait encore, sans discontinuer, pendant des heures, ne lui laissant pas même le répit d’une pause-café. Elle lui écrivait ses pensées errantes, ses rêveries d’ailleurs comme des regrets cachés qu’on ne dit jamais, des espoirs oubliés au fond de l’enfance. Parfois, au détour d’une phrase, aux confins d’un aveu trop intime, une larme se formait au coin de l’œil et roulait, sans un bruit, sans même un plissement de paupière. Elle l’écrasait du revers de la main et reprenait le fil de son récit. Et c’est comme ça que se finissait chacune de ses journées, du lundi au vendredi, tout en haut de cette tour de vitres et d’acier.

Puis, sur les coups de vingt heures, elle faisait comme les autres. Elle claquait la porte du bureau, prenait l’ascenseur pour descendre les quinze étages qui la séparaient de la terre ferme, saluait le gardien qui ne manquait jamais de l’interpeller, toujours avec le même sourire bienveillant, toujours avec la même remarque de reproche paternel :

« Vous finissez encore bien tard ce soir, Mademoiselle Lautant ! »

Et elle de lui répondre, comme une enfant sage :
« Vous avez raison Monsieur Gibon. Mais, que voulez-vous… ? Passez une bonne soirée. À demain
— À demain. »

Elle s’engouffrait dans la bouche de métro, ligne 1 jusqu’à Charles de Gaulle – Étoile puis ligne 2 jusqu’à Place Clichy. En hiver, elle aimait profiter des lumières de la ville, même s’il faisait froid, même s’il pleuvait, même s’il neigeait. Elle aimait la nuit. Elle aimait Paris. Elle aimait Paris la nuit. Alors elle déambulait, faisait le tour de la place, s’avançait sur l’avenue de Clichy, puis revenait sur ses pas. Là, elle décidait souvent de s’arrêter à la brasserie Wepler pour y dîner d’une soupe de poisson et d’un gâteau « Opéra » sauce café. Autant que possible, elle aimait s’asseoir près des larges baies vitrées. Elle regardait passer les inconnus qui se pressaient sous la pluie, dans le froid. Où allaient-ils comme ça ? Certains rentraient chez eux, retrouver leur foyer, femme et enfants. D’autres faisaient un détour par l’appartement de leur maîtresse. D’autres encore allaient rejoindre le chien ou le chat, paisiblement assoupi sur le tapis du salon ou le palier de la porte. Mais tous étaient des ombres dans la nuit.

Tous, à l’exception de cette silhouette qu’elle venait d’apercevoir alors qu’elle était en train de finir son dessert. Elle jeta sa cuillère sur le bord de l’assiette et se précipita vers le comptoir pour régler l’addition. Quand elle sortit de la brasserie, la silhouette était en train de disparaître dans la station Place Clichy. Elle se hâta, atteignit le guichet et vit le profil si familier prendre le chemin de la ligne 2 en direction de Nation. Elle courut, le rattrapa et entra dans le même wagon, une porte plus loin. La silhouette lui tournait le dos, la tête penchée en avant, comme plongée dans un livre ou une revue. Une seconde. Il fallut une seconde aux souvenirs pour envahir l’instant. Même si la brume était épaisse sur cette mémoire enfouie, même si une quinzaine d’années étaient passées depuis leur dernière rencontre, la douleur, elle, était restée intacte.

…à suivre…

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Gelé

Le vent ne souffle pas. Par les volets fermés, j’écoute la nuit. J’ai soufflé dans mes mains. J’ai couvert mes pieds. Mais rien, rien n’y fait. Le froid glisse dans ma peau, gèle ma carcasse jusqu’aux os.

Le vent ne souffle pas. Les volets sont clos. Dehors, la nuit ne fait pas de bruit. J’ai bu un bol de lait chaud. J’ai gardé mes mains gelées sur le récipient qui fumait et j’ai savouré la chaleur dans mon gosier.

Le vent ne souffle pas. Pourtant, je sens le froid glisser à travers les volets. Le radiateur est froid. J’avais espéré que l’hiver ne viendrait pas. Alors cette cuve vide du précieux liquide ne me tourmenterait pas.

Le vent ne souffle pas. Pourtant, je sens l’insupportable froid qui me tord les doigts. Le lait chaud me semble bien loin déjà. Les volets sont fermés et la nuit ne fait pas de bruit. Il n’y a que mes dents qui grincent. Je prends contre moi le chat. Contre mon torse, il diffuse sa douce chaleur. Et nous restons là. Tous les deux. Cœur contre cœur.

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L’hiver et Clément

N’avez-vous pas remarqué combien cette année l’hiver est clément ? La douceur de certaines journées ferait presque oublier que nous sommes en janvier. Clément, lui n’a pas oublié, et tout le jour, il erre dans la ville et le vent.

Clément a 56 ans. 8 ans qu’il vit dans la rue. D’abri de fortune en hébergement d’urgence, il dort où il peut, il dort quand il peut. Mais depuis quelques semaines, c’est bien difficile de trouver un logis pour la nuit. Il compose le 115, et c’est toujours la même réponse : il n’y a plus de place.

Mais bon sang ! C’est l’hiver pourtant ! S’insurge Clément. Alors on nous laisse à la peine à la belle saison. Sans doute s’imagine-t-on que la vie sans abri est plus rose parce que les fleurs sont écloses. Et voilà maintenant qu’on nous abandonne aussi à l’hiver venu. Parce que pas de neige, pas de gelées, pas de morts de froid dans les rues ?!

Mais quelle est donc cette absurdité ? Les centres d’hébergement sont là, le personnel répond à l’appel, mais les lits restent vides, les portes fermées. Et pourquoi donc s’il vous plaît ? Parce que le thermomètre ne descend pas assez. Des hommes, des femmes, des familles sont privés de solutions d’hébergement parce que l’hiver est clément. Et ce soir encore, il ira solitaire, au long des rues, l’ami Clément.

Eh oui ! Messieurs, Mesdames, quand la misère ne laisse pas ses cadavres sur le pavé, l’urgence semble tout à coup s’éloigner.

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Attention ! Bonheur contagieux !

Je n’ai rien à vous souhaiter pour la nouvelle année
Je n’ai que ma joie à vous donner.
Le monde va mal, le monde est sale
Le dire encore un peu plus fort
N’est certes pas un tort.
Mais voilà venu le moment
De la grande lessive de printemps.

Je n’ai rien à vous souhaiter pour la nouvelle année
Je n’ai que mon sourire en guise d’été.
La Terre pleure, la Terre meurt.
Le crier encore un peu plus fort
N’est certes pas un tort.
Mais le temps est là maintenant
De retrousser les manches, d’aller de l’avant.

Je n’ai rien à vous souhaiter pour la nouvelle année
Je n’ai que mon cœur ouvert, même aux épées.
Des enfants ont faim, réclament un peu de pain
Le hurler encore un peu plus fort
N’est certes pas un tort.
Mais nous sommes à l’heure du tournant
Celui de l’humanité tel un seul homme se levant.

Je n’ai rien à vous souhaiter pour la nouvelle année
Juste mon bonheur à semer,
Ici, là-bas, aux quatre vents.
Ce bonheur qui ne doit rien aux marchands
Ce bonheur qui se fabrique d’un rien parce qu’il est tout
Parce qu’il est l’eau qui coule au bout du chemin,
Parce qu’il est maintenant et pas demain.
Ce bonheur qu’on cultive à côté des choux
Au milieu des figuiers et des lilas
Entre les pruniers et les hortensias.
Ce bonheur qui sent la pomme et le thym.
L’herbe mouillée et le foin.

Je n’ai rien à vous souhaiter pour la nouvelle année
Juste mon bonheur à disperser pour vous contaminer.
Prenez, prenez ce bonheur sans hésiter !
Et à votre tour, à tous les vents, semez, semez !
Nous récolterons au printemps ce que l’hiver a fait germer.

 

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