Oui, je le veux ! (1)

Il se resservit un verre de Château Margaux. La bouteille était déjà au trois-quarts vide. C’est qu’il n’avait plus l’habitude de se retrouver comme ça, tout seul ou presque, devant la télé, un vendredi soir. Ses parents lui avaient laissé le petit salon, tandis qu’ils dînaient tous deux dans la grande salle à manger du rez-de-chaussée. Il n’avait pas voulu se joindre à eux. Chose qu’ils n’avaient pas relevée. À 33 ans, Alexandre était un grand garçon qui savait ce qu’il avait à faire et puis, de toute façon, il les avait habitués très tôt à son caractère libre et indépendant, solitaire et parfois ombrageux. Dès qu’il avait quitté le nid douillet du foyer pour l’université, il avait pris son envol, avait mené à bien ses études sans rien demander à personne. Et cela lui avait plutôt réussi. Il était aujourd’hui un jeune avocat en droit des affaires prometteur, et les clients se pressaient à la porte du cabinet où il exerçait aux côtés d’un vieux briscard du barreau qui l’avait pris sous son aile alors qu’il n’était encore qu’avocat stagiaire.

Le poste de télévision marmonnait de façon incompréhensible. Il avait mis le son au minimum, histoire d’avoir un bruit de fond. Son doigt glissait sur la télécommande d’une touche à l’autre faisant défiler les chaînes au hasard et sans même y prêter attention. Non ! Ce qui attirait son attention c’était une lettre posée sur la table basse, à côté de la bouteille de Château Margaux et d’une enveloppe kraft format A5. Une lettre d’une page, une seule et unique page noircie d’une écriture fine, parfaitement dessinée. Il vida d’un trait son verre, saisit la lettre et l’enveloppe, éteignit le téléviseur et sortit du salon. Il était déjà près d’une heure du matin et la journée de demain était importante. Elle s’annonçait longue et riche d’émotions. Il lui fallait dormir suffisamment pour être à cent pour cent de ses capacités.

« Alexandre ! Il est neuf heures. Tu m’as bien dit de te réveiller à neuf heures ? Interrogea sa mère en ouvrant les volets pour faire surgir dans la chambre une lumière éblouissante, d’un jaune clair et pétillant.
— Oui maman.
— Alors prêt pour le grand jour mon fils ?
— Je crois bien que oui, répondit-il en souriant. »


Il bondit hors du lit et s’avança vers la grande armoire en chêne massif qui lui faisait face.
« Je crois que tu ferais mieux de venir prendre ton café avant de t’habiller, lui conseilla sa mère.
— Oui, tu as raison. »

Son père était déjà attablé dans la cuisine au milieu des croissants et des pains au chocolat. Alexandre se versa une tasse de café qu’il sirota debout.
« Tu ne manges rien ? Lui demanda son père.
— Non, j’ai l’estomac un peu noué.
— Ah ! C’est normal ça. Le jour où j’ai épousé ta mère j’étais tellement angoissé que même mon café n’est pas passé ! »

Ils papotèrent ainsi pendant une bonne heure entre hommes, entre père et fils, le premier se remémorant cette journée inoubliable que fut celle de son mariage, le second l’écoutant religieusement comme pour en prendre de la graine.

La cérémonie civile ne commençait qu’à quatorze heures trente, mais toute la noce avait rendez-vous une heure plus tôt chez les parents de la mariée. C’était la coutume. Avant de partir pour la mairie quelques rafraîchissements étaient offerts aux invités. C’était aussi l’occasion de se retrouver entre cousins qui ne s’étaient pas vus depuis des années, de déposer gerbes de fleurs et cadeaux à l’attention des futurs époux. Quand onze heures sonnèrent, Alexandre décida de se préparer. Dans son costume gris anthracite avec sa veste jaquette, son petit gilet et sa large cravate, avec ses cheveux noirs et ses grands yeux bleu lagon presque transparents, il ressemblait à un jeune premier tout droit sorti d’un film des années trente.

À l’approche de la demeure de ses beaux-parents, Alexandre inspira un grand coup. De nombreuses voitures étaient déjà garées dans la grande cour de cette maison de maître posée au milieu d’un parc de quatre hectares. Comme l’exigeaient les usages, non seulement il avait passé la nuit précédant son mariage chez ses parents et non avec sa future épouse, bien qu’ils vécussent ensemble depuis trois ans déjà, mais il ne savait rien de la robe de cette dernière. Aussi était-il curieux et impatient de la découvrir.

C’est sa belle-mère qui l’accueillit sur le pas de la porte d’entrée restée grande ouverte, en s’extasiant :
« Mon futur gendre, vous êtes absolument radieux.
— Merci beaucoup. Dites-moi, où est Diane ?
— Elle ne va pas tarder, déclara-t-elle avec un sourire malicieux ».

Et en effet, Diane ne tarda pas. Alexandre était dans la grande salle de réception en train de jeter un œil sur les nombreux paquets que les invités avaient déposés là, quand il la vit descendre l’imposant escalier de pierre. Elle était vêtue d’une longue robe ivoire au jupon de satin ample au bout duquel une traîne semblait n’en plus finir. Son épaisse chevelure blonde était relevée en un chignon élégant d’où s’échappaient de grosses boucles parsemées de fleurs blanches et ses mains étaient couvertes de gants qui montaient jusqu’à ses coudes. C’était évidemment la plus belle mariée qu’il ait jamais eu l’occasion de voir. Il s’avança vers elle, et déposant un baiser sur son front pour ne pas défaire le maquillage si précis sur ses lèvres peintes, il murmura :
« Tu es divine ! Tu es LA divine… Diane, insista-t-il.
— Tu me flattes mon chéri… tu me flattes, répondit-elle en se pressant contre lui »

Oh non ! Il ne la flattait pas. Il avait face à lui la femme la plus redoutable de la création. Une beauté fatale douée d’une intelligence vive et d’un sens des affaires que bien des hommes pouvaient lui envier. Dans l’entreprise familiale où elle travaillait aux côtés de son père, Diane était souvent plus crainte encore que le patriarche. Elle ne laissait rien passer, pas plus à ses collaborateurs qu’à ses concurrents. Derrière son teint nacré de poupée slave se cachait une négociatrice aux armes acérées qui remportait souvent, très souvent, les batailles qu’elle engageait. C’est sans doute ce contraste qu’Alexandre avait aimé, comme on aime un fruit sucré à la première bouchée, mais qui dépose des notes acidulées sur le palais quand on a fini de le déguster.

(à suivre)

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L’anniversaire (3)

Une main accrochée à la barre en fer forgée du baldaquin, j’ôtai un à un mes escarpins. En tombant le talon claqua sur le parquet. Puis j’accrochai la fermeture éclair de ma robe pour la faire glisser jusqu’à la hanche. La bretelle gauche tomba. La droite l’imita. Les mains sur la taille, la poitrine serrée dans le satin pourpre, je restai là un instant devant ce lit encore vide, encore froid. Je finis de retirer ma robe et je fis quelques pas sur moi-même. Mon regard s’arrêta sur le lit, se tourna vers le fauteuil, observa le ruban. Le ruban. Le lit. Le ruban. Le lit. Le ruban. Je m’en emparai et m’avançai vers ce lit. Je m’assis au bord. J’enroulai le morceau de tissu autour de ma tête et m’allongeai sur le dos. Je ne savais plus quoi faire de mes bras. Je les gardais étendus le long de mon corps, puis l’instant d’après je les croisais sur mon ventre. De la main gauche, je caressai mon épaule droite puis redescendis dans le cou jusqu’à la naissance de mon sein. Sous mes doigts, la dentelle et le satin se faisaient tisons ardents. L’atmosphère était oppressante. Je me sentais à l’étroit dans ce soutien-gorge qui freinait le déploiement de ma respiration haletante. Je devinais ma peau se colorant sous l’effet de l’excitation qui devenait de plus en plus intolérable. Et Benjamin qui n’arrivait pas !

Plongée dans la pénombre derrière ce ruban, je ne pouvais plus compter que sur mes autres sens. Serait-ce son pas que j’entendrais le premier ? Son parfum qui naviguerait jusqu’à mes narines ? L’impatience me gagnait. Les secondes défilaient et semblaient de longues et interminables tortures. Les yeux fermés derrière mon ruban, déjà esclave de mon propre désir, j’imaginais Benjamin. Ses mains longues et larges, douces et assurées. Ses doigts s’emmêlant dans mes cheveux. Ses étreintes franches et affamées. Son souffle au-dessus de ma bouche et ses lèvres m’effleurant à peine. Le bout de sa langue glissant, imperceptible caresse, de ma joue à mon cou.

Ah ! Le démon ! Il donne et il reprend. Il habille l’envie, la fait naître et grandir. Il la maquille de tous les artifices. Il touche. Il frôle. Il empoigne. Il serre. Il embrasse. Il navigue. Il attrape. Il desserre. Il s’éloigne. Puis il revient à la charge, plus sulfureux encore. Il est intenable et irrésistible. Et moi, je suffoque. Je rougis. Je m’agace. Je m’essouffle. Je réclame. Je supplie.

(à suivre…)

Retrouvez les épisodes 1 et 2 dans la catégorie Billets roses.

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