Le forcené de l’Élysée

Que l’immense majorité des petits, des sans-grade, des ordinaires se rassure ; la fin de ce régime politique est proche. Il est vrai que lorsqu’on suffoque, les jours semblent des mois, les mois des années, les années des décennies.

Quand est-ce que tout a commencé ? Nul doute que les historiens, politologues, sociologues et autres spécialistes en tout genre feront un jour la genèse de la chute de la Ve République. Pour ma part, je me souviens de cette tribune, ou plus exactement de cette lettre écrite par un certain François, à la veille du second tour de la présidentielle en mai 2017, au futur locataire de l’Élysée, qui ne manquerait pas de l’emporter face à l’horrible sorcière dangereuse, incompétente et héritière du mal absolu qui jouait avec lui dans le bac à sable d’une République en bien piteux état. Dans cette lettre ouverte, François écrivait : « Vous êtes haï par « les sans-droits, les oubliés, les sans-grade »  (…) Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï ». Fréquentant, parce qu’appartenant moi aussi à l’immense famille des sans-grade et des petits, j’ai immédiatement compris ce message que nombre d’éditorialistes bon teint ont condamné avec force, et j’ai compris aussi que ce serait LUI ou NOUS. Tout autour de moi j’entendais, je voyais cette haine rentrée qui s’est exprimée avec conviction au début de l’hiver 2018 quand les fameux gilets jaunes ont quitté les coffres de voitures pour sortir dans les rues et sur les ronds-points, rendant visibles les invisibles, les oubliés, les méprisés, ceux qui font tourner la boutique France, qui y mettent tout leur corps pour trois francs six sous ; les mêmes qui ne profiteront pas des plus belles années de la retraite. Je vois, j’entends aujourd’hui la haine honteuse d’hier qui s’est muée en haine viscérale, assumée, revendiquée.

Est-ce que tout a commencé ici, en mai 2017, quand l’ancien secrétaire général adjoint d’un autre François, puis nocif ministre de l’Économie, est devenu Calife à la place du Calife ? Sans doute pas. La route de la déroute avait été tracée par d’autres avant lui. Comme souvent, c’est l’accumulation des trahisons, le dévoiement des règles, de l’esprit des lois et des institutions, la médiocrité croissante du personnel politique, la collusion, la corruption qui font le lit de mort des régimes devenus putrides. Mais, disons qu’il fallait un homme assez antisocial et violent, dénué de toute morale, de toute empathie (les psychologues reconnaîtront peut-être là quelques traits pathologiques…) pour finir le travail de destruction engagé bien avant lui et permettre l’avènement d’une nouvelle République.

Nous y sommes. Nous sommes à la fin du processus et au commencement d’un autre. Le forcené de l’Élysée, retranché, barricadé, bunkérisé, tout juste protégé désormais par un cordon de CRS, ces travailleurs ordinaires qui continuent, seuls contre tous, à jurer fidélité au Roi qui les épuisera et les sacrifiera eux aussi jusqu’au dernier, prendra la parole depuis son palais, lundi soir nous dit-on. Mais qui, en dehors des journalistes et autres commentateurs de l’actualité, pour écouter la logorrhée d’un homme seul qui ne fait plus rêver ou n’impressionne plus que quelques fidèles valets ? Qui pour accorder le moindre crédit, la moindre valeur, le moindre intérêt pour ce qui sort de la bouche d’un individu qui ne respecte rien ni personne et surtout pas le peuple de France ? Qui pour croire un homme dont chaque mot pue le mensonge et le mépris, un homme qui a usé de toutes les arguties juridiques d’une Constitution qui relève de l’accident démocratique, une Constitution taillée pour un homme, mais certes pas pour un pays et un peuple ?

Chacun des évènements, que conseillers de cabinet, têtes pensantes et autres affidés du pouvoir actuel, nomment « séquence », est en réalité une étape vers la libération. Tout se met en place. Tout se fait jour. Loi de financement rectificative de la Sécurité Sociale, 47.1, vote bloqué, 49.3, validation par le Conseil constitutionnel (organe politique bien plus que juge constitutionnel), rejet du bien inoffensif référendum d’initiative partagé qui a été inventé pour que rien n’en sorte jamais, détournement de procédures, inexistante séparation des pouvoirs, lâcheté des contre-pouvoirs et souvent même complicité, absence totale et définitive de considération pour la parole des petits, des sans-grade, des ordinaires qui manifestent par tous les moyens possibles leur désaccord. Les armes constitutionnelles, utilisées hier pour contraindre une majorité parlementaire, sont devenues entre les mains du forcené de l’Élysée des armes de destruction massive contre le peuple lui-même ! Mais on ne gouverne pas impunément et éternellement contre tout un peuple.

Le forcené sera contraint de déposer les armes et de partir. La Ve sera emportée avec lui parce que son heure est venue, parce que le ver était aussi dans le fruit.

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La fuite à Varennes, 1791.

La fuite à Varennes, 1791.

Oui, je le veux ! (3)

Le vin d’honneur se prolongea jusqu’à dix-neuf heures trente, heure à laquelle les convives furent priés de rejoindre l’immense structure éphémère qui avait été érigée dans le parc pour accueillir les quelque deux cent cinquante personnes qui restaient au dîner. Plusieurs dizaines de tables de dix couverts chacune s’étalaient dans une décoration aussi raffinée qu’épurée. La table des mariés, témoins et parents des mariés trônait sur l’avant, de sorte qu’elle faisait face à toutes les autres. Pour la réception Diane avait abandonné sa robe de souveraine encombrante pour une tenue de soirée plus appropriée : une robe fourreau couleur sable, fermée par un entrelacé de rubans larges au-dessous d’un dos nu et un bustier rehaussé d’organdi. Un orchestre de jazz surplombait l’ensemble de la noce depuis une scène installée au bout de la salle. Il entonna « Gone with the wine » de Stan Getz, enchaîna avec des morceaux de Louis Amstrong, Sidney Bechet, Duke Ellington, Charlie Parker, Dizzy Gillepsie, Miles Davis. Les plats et les vins défilaient dans cette ambiance un peu surannée, chaleureuse et feutrée, d’une élégance rare, et à peine troublée par quelques bavardages délicats. Tout était parfait, millimétré. Alors qu’on annonçait l’arrivée du dessert et sa cascade de champagne, Alexandre se leva et demanda l’attention de l’assistance.

« Mes chers amis, mes chers beaux-parents, mes chers parents, je voudrais porter un toast, déclara-t-il en levant sa coupe. Tout d’abord je voudrais vous remercier d’être tous réunis auprès de nous en ce jour si spécial. »


Il posa les yeux sur Diane qui lui offrit son plus joli sourire. Puis il reprit :
« Et en ce jour si spécial, je voudrais porter un toast… ».

Il s’arrêta. Les convives étaient suspendus à ses lèvres autant qu’au rebord de leur verre.
« Je voudrais porter un toast à ma salope de femme qui me trompe depuis six mois avec mon témoin et meilleur ami ici présent, asséna-t-il en posant la main sur l’épaule de Lucas assis juste à son côté. »

Du fond de la salle jusqu’à la table centrale une rumeur étouffée et horrifiée se leva et se propagea telle une déferlante. Tandis que Diane se décomposait, que ses parents étaient au bord de l’apoplexie et que Lucas, hébété, ouvrait une bouche d’où ne jaillissait aucun son, Alexandre, avec une décontraction stupéfiante, prit sa veste sur l’épaule et se dirigea vers la sortie.

Dehors, il respira une grande bouffée d’oxygène avant de sortir du revers de sa veste l’enveloppe kraft de laquelle il fit glisser la lettre et une série de clichés froissés. Il alluma une cigarette et regarda une dernière fois les photos sur lesquelles on pouvait voir Diane et Lucas dans des postures particulièrement embarrassantes ne laissant subsister aucun doute sur la nature de leurs relations. La lettre qui accompagnait ces images compromettantes se terminait ainsi :

« J’ai beaucoup réfléchi, beaucoup hésité. Je me suis torturée pendant des jours et des nuits, pendant des semaines. Mais il m’était impossible de garder le silence. Je savais que tu ne me croirais pas, alors je les ai suivis pour obtenir ces photographies. Je suis désolée pour toi, mais tu devrais annuler ce mariage, il est encore temps de sortir la tête haute. Je suis désolée, tellement désolée et déçue par ma sœur. Jamais je ne l’aurais cru capable d’un tel cynisme. Garance. »

FIN

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